La communauté scientifique s’élève contre les projets de méthanisation dans le Lot

Guy Astruc, géologue, Michel Bakalowicz, hydrogéologue du karst, Lydia et Claude Bourguignon ingénieurs agronomes et Pierre Rabhi, l’un des pionniers de l’agriculture écologique en France, tirent la sonnette d’alarme quant aux projets de méthanisation.

Carte réalisée par le BRGM et l’ONEMA selon la méthode PaPRIKa (outil de cartographie des aquifères et des systèmes karstiques dans un but soit de caractériser la vulnérabilité du captage (source, forage) en vue de délimiter des périmètres de protection, soit de caractériser la vulnérabilité des bassins d’alimentation des captages dans une démarche de protection prioritaire des captages vis-à-vis des pollutions diffuses) établie sur l’impluvium de l’Ouysse. (En rouge sont signalées les zones de grande vulnérabilité, en orange les zones de forte vulnérabilité et en jaune les espaces de moyenne vulnérabilité).

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Depuis plusieurs mois, la question de l’épandage du digestat brut issu du procédé de la méthanisation fait débat dans le département. Le méthaniseur installé à Gramat, le plus important de la région, sème le trouble, d’autant que la communauté scientifique, dans son ensemble ne valide pas la démarche. Le procédé de la méthanisation tel qu’il se met en place aujourd’hui dans le Lot, avec épandage du digestat sur les sols karstiques, présente un risque important pour l’environnement, aux yeux de la communauté scientifique, dont les conséquences « risquent d’être très longtemps supérieures aux bénéfices que les promoteurs du projet espèrent en retirer ».

Plusieurs scientifiques, dont nous rapportons les prises de position ci-après, se demandent en substance, si nous n’assistons pas au prélude d’une catastrophe en matière de santé publique, face aux risques qualifiés de « réels » d’apparitions de clostridies et autres gènes dans l’eau potable. À maintes reprises géologues, hydrologues… ont dénoncé les approximations, consignées dans les dossiers ayant emporté autorisation pour mener à bien la méthanisation dans le Lot.

Plusieurs associations, telles France Nature et Environnement, la Confédération Paysanne Lot, le GADEL (Groupement Associatif de Défense de l’Environnement du Lot), demandent la cessation urgente des travaux relatifs à la réalisation des stockages délocalisés sur les communes de Lacapelle-Marival, Durbans, Fontanes, Montvalent, en raison des risques d’effondrements des cavités souterraines naturelles et de pollution des eaux destinées à la consommation, faute d’études d’impact sur ces sites.

Se succèdent pour exprimer leurs craintes, voire leur vive opposition Guy Astruc, géologue, Michel Bakalowicz, hydrogéologue du karst, Lydia et Claude Bourguignon ingénieurs agronomes et Pierre Rabhi, l’un des pionniers de l’agriculture écologique en France.

Une inquiétude justifiée

« L’épandage de digestat brut et de lisier sur le causse de Gramat préoccupe actuellement la plupart des Lotois. Cette inquiétude est parfaitement justifiée par la nature des terrains constituant l’armature de nos causses » déclare Guy Astruc, géologue, auteur de la plupart des cartes géologiques des causses du Quercy. Son jugement est sévère au regard de l’œuvre entreprise. Il poursuit : « Les technocrates qui ont projeté cette zone de stockage et d’épandage n’ont absolument pas tenu compte suffisamment des contraintes géologiques en présence et de l’importance des réservoirs aquifères ». Explication de Guy Astruc : il existe des niveaux argileux et argilo-sableux dispersés à la surface du causse, mais l’épaisseur de ces niveaux est toujours insuffisante et n’assure aucune protection pour les eaux souterraines. De plus, les calcaires sont trop fracturés pour garantir la sécurité d’une zone d’épandage.

Rappelons que les causses du Quercy constituent une importante réserve d’eau souterraine qui alimente la plupart des communes du département.

Une menace directe pour l’eau potable

Au nombre des quelques spécialistes des eaux souterraines dans les formations calcaires, dénommées « karst », Michel Bakalowicz a animé l’équipe de recherches appliquées sur karst du Bureau de recherches géologiques et minières (1). Il a par ailleurs piloté le groupe de travail sur le karst de l’Agence de l’Eau Rhône ? Méditerranée ? Corse, qui a édité un guide technique servant de référence (Connaissance et gestion des ressources en eaux souterraines dans les régions karstiques, juin 1999). Il s’en suivit la rédaction de plusieurs documents de référence afin de proposer les règles d’étude, de gestion et de protection des régions karstiques les mieux adaptées aux conditions très particulières de circulation de l’eau en surface et sous terre.

S’agissant du Lot, on ne peut que déplorer que lesdits documents aient été ignorés. « Alors qu’il est établi que le milieu karstique est soumis d’une part à une infiltration rapide entre sa surface et sa zone phréatique où s’accumule l’eau souterraine exploitable, d’autre part à l’intérieur même de cette zone phréatique où des conduits favorisent des écoulements rapides vers les sources. Dans ces conditions, les épandages envisagés de lisier et surtout de digestats à la surface du karst risquent de transiter très rapidement jusqu’aux sources, au moins pour une partie, sans être fixés par les sols et les plantes et sans qu’intervienne la moindre épuration. De plus, l’épandage de digestats annoncé avec un rapport C/N (2) inférieur ou égal à 5 est en contradiction complète avec les préconisations du Guide d’épandage des effluents en milieux karstiques » indique Michel Bakalowicz. Ainsi, souligne le scientifique, ce type d’épandage retenu dans le Lot, doit être prévu dans le cadre d’un plan d’épandage s’appuyant sur un document cartographique définissant les zones favorables. Dans les faits, il apparaît donc que ceci ne peut être possible pour les sols superficiels à très superficiels (moins de 35 cm d’épaisseur), ce qui est le cas le plus fréquent sur les plateaux calcaires du type du causse de Gramat. Michel Bakalowicz s’inquiète de constater qu’aucun plan d’épandage s’appuyant sur une méthode d’étude adaptée au karst ne soit présentée dans le projet de Gramat. De ce fait, insiste-t-il : « Le projet de méthanisation de Gramat menace directement la qualité des eaux souterraines dont une partie est captée pour l’alimentation en eau potable des populations. » Et il enfonce le clou : « Je m’étonne qu’aucun avis du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN Occitanie) ne soit donné sur ce sujet d’importance. » Le CSRPN n’aurait-il peut-être pu être saisi par la DREAL, à la demande du Préfet, soit par la direction du Parc Naturel Régional des Causses du Quercy ? Il en est de même du Comité Scientifique du PNCRQ (où siège M.Tarrisse) qui n’a pas été consulté pour ce projet situé au cœur du Parc, alors qu’il faisait partie du comité de pilotage et de suivi créé, dès 2012 par le sous-préfet de Gourdon.

Trop de risques

Le projet de stockage apparaît également comme une menace pour le milieu karstique. La stabilité des sites de stockage est mise en question, d’une part à cause des structures qui peuvent représenter jusqu’à 6500 tonnes sur des zones fracturées, sans étude d’impact et d’autre part à cause du danger lié à l’imperméabilisation créée par l’ensemble, structure de stockage et aire de circulation alentour. Michel Bakalowicz cite à ce sujet le phénomène des sinkhole (répandu aux USA) ; des effondrements associés aux eaux d’infiltration dans ou à proximité de dépressions karstiques fermées (dolines). Conclusion de Michel Bakalowicz : « Le projet de Gramat présente selon moi, trop de risques non pris en compte pour l’environnement fragile du causse et pour les populations qui ont un besoin vital des eaux souterraines qui en sont issues ». En l’absence d’étude d’impact, un risque majeur existe ! L’État est pris à témoin de la situation d’autant que sa responsabilité ne manquerait pas d’être engagée, au regard des autorisations accordées.
 

(1) Le BRGM est l’établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol.

(2) Le rapport C/N (rapport carbone / azote organique) ou rapport carbone sur azote est un indicateur qui permet de juger du degré d’évolution de la matière organique, c’est-à-dire de son aptitude à se décomposer plus ou moins rapidement dans le sol : les micro-organismes du sol (microfaune) ont un rapport C/N moyen de 8.

Pierre Rabhi : « Non à ce projet dévastateur »
« La dangerosité de ce projet de stockage et d’épandage de lisier et de digestat sur le causse de Gramat est confirmée par plusieurs scientifiques et experts indépendants. C’est pourquoi j’apporte tout mon soutien aux citoyens qui se mobilisent contre ce projet dévastateur pour défendre leur territoire, ses ressources et le préserver d’une pollution inacceptable et d’une destruction inévitable de terres agricoles. »