Normal que les industriels payent les études sur la sécurité de leur produit?

«Nous en savons assez pour dire qu’il faut sortir du glyphosate». Dans un entretien au JDD ce dimanche, le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot assure qu’il «ne recule jamais», et donc que l’interdiction du glyphosate, herbicide classé cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer, sera actée avant la fin du quinquennat, sans toutefois donner d’échéance précise. Notons qu’à l’échelle européenne, après quatre reports, les Etats-membres vont aussi devoir voter en théorie le 25 octobre pour ou contre le renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour dix ans. Or la position du gouvernement français n’est pas arrêtée entre les ministres de l’Agriculture et de l’Ecologie. Le premier ayant évoqué une prolongation de «cinq à sept ans» contre la fin du renouvellement pour le second.

«La sagesse voudrait que je l’interdise tout de suite»

«Si je ne prenais en compte que la situation immédiate des agriculteurs, je ne ferais rien car parfois ils ne peuvent pas se passer de ce produit, poursuit-il. Si je m’inscris sur une échelle de temps plus longue et si je considère la santé des citoyens, la sagesse voudrait que je l’interdise tout de suite. C’est un équilibre à trouver.» Interrogé sur une possible interdiction avant la fin du quinquennat, Nicolas Hulot assure qu’il «ne sera jamais faible vis-à-vis d’entreprises qui tentent de mettre en coupe réglée les ressources de la planète et qui se sont rarement distinguées par leur altruisme. Avec Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, nous allons demander des évaluations indépendantes pour que nos décisions soient incontestables. Mais nous en savons assez pour dire qu’il faut sortir du glyphosate.»

les élus européens ne savent toujours pas comment légiférer sur le glyphosphate présent dans le roundup de Monsanto

«Les agriculteurs ont donc le choix entre le cancer ou la ruine?» interpelle l’eurodéputée belge Frédérique Ries. L’audition publique sur les «Monsanto Papers et le glyphosate», organisée mercredi au Parlement européen à Bruxelles, n’a pas permis aux eurodéputés présents d’y voir plus clair. «Après trois heures de discussions, nous ne savons toujours pas comment légiférer sur le glyphosate et protéger la santé des citoyens européens», ont regretté plusieurs élus.

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A l’origine de cette confusion : le défilé au micro de personnalités aux avis opposés sur la dangerosité du glyphosate, le principe actif utilisé dans la majorité des herbicides dans le monde. Kate Guyton, du Centre international sur le cancer (Circ), affilié à l’Organisation mondiale de la santé, détaille ainsi le processus scientifique ayant conduit les chercheurs du laboratoire à classer en 2015, le glyphosate comme «probablement cancérigène» et génotoxique (qui modifie l’ADN) pour l’homme. A sa suite, mercredi, des représentants des deux agences européennes d’évaluation des pesticides, l’Autorité européenne sur la santé et la sécurité des aliments (Efsa) et l’Agence européenne des produits chimiques (Echa), ont expliqué comment ils sont arrivés, eux, à déclarer le glyphosate non-cancérigène pour l’homme. «Comment aboutissez-vous à des résultats si divergents ?» lance un député.

«Politisation du processus d’évaluation sanitaire»

Les regards se tournent alors vers les agences européennes. En septembre, il a été révélé par l’ONG Global 2000 qu’une grande partie de leur rapport sur la sûreté du glyphosate était un copié-collé d’une étude publiée par Monsanto en 2012. «C’est normal qu’il y ait des copiés-collés, se défend José Tarazona, à la tête de l’unité pesticides de l’Efsa. La procédure européenne requiert que ce soit les industriels qui payent et fournissent les études sur la sécurité de leur produit. Un rapporteur d’un Etat-membre, ici l’Allemagne, commente et peut modifier ce dossier. Puis, à l’Efsa, nous faisons de même avec les contributions des scientifiques nationaux.» Petit bémol, quand ils reprennent les résultats des industriels, le rapporteur et les agences européennes doivent le préciser explicitement. Or, dans le cas du glyphosate, ils l’ont omis à plusieurs reprises, notamment dans le chapitre clé sur la potentielle génotoxicité du produit. Mais au-delà des erreurs des agences, c’est tout le processus de réglementation européen qui apparaît déficient à travers les propos des différents interlocuteurs dans l’hémicycle.

«On observe avec inquiétude la politisation du processus d’évaluation sanitaire, déplore Martin Pigeon, spécialiste de l’étude des lobbys de l’agrobusiness au Corporate Europe Observatory. L’Efsa n’a pas les moyens financiers pour payer des études par des chercheurs externes. Ils n’ont d’autres choix que de se baser sur des études effectuées par les industriels, dans lesquelles les conflits d’intérêts sont flagrants.»

«Je suis comme un architecte»

David Kirkland, consultant pour Monsanto (l’entreprise a refusé l’invitation des eurodéputés) et auteur d’une étude de 2013 assurant la non-dangerosité du glyphosate, est venu pour en témoigner. Le chercheur, qui ne dément pas être toujours sous contrat avec le géant américain des pesticides, affirme être indépendant dans ses recherches. «Je suis comme un architecte, une entreprise me paye pour faire une étude mais elle ne l’influence pas, assure-t-il. Si nos recherches avaient établi que le glyphosate était dangereux, nous en aurions rendu compte de la même façon.» Cette affirmation fait grincer des dents l’eurodéputé belge Marc Tarabella, à l’origine avec le Français Eric Andrieu de cette audition : «S’il avait rendu de telles conclusions, Monsanto se serait séparé de lui sans aucun doute.»

L’attitude de Kirkland est l’illustration des campagnes de doute montées par la firme de Saint Louis depuis des décennies et révélées dans les Monsanto Papers, ces milliers de documents internes publiés lors d’un procès en cours aux Etats-unis. «Les efforts des industriels de l’agrobusiness pour manipuler les législateurs et les scientifiques datent de longue date», assure Carey Gilliam, de l’ONG US Right to Know et auteure de White wash, l’histoire d’un herbicide, de cancers et de corruption de la science, sorti en octobre. Des employés de Monsanto reconnaissent dans les mails internes consultés par Libération avoir pré-écrit certaines études scientifiques sur le glyphosate pour ensuite les présenter comme indépendantes. Plusieurs entreprises de l’agrobusiness, associées dans cette cause commune, ont aussi travaillé au développement d’un réseau de chercheurs en Europe et en Amérique du Nord, payés pour faire pression sur les autorités et instiller le doute par de fausses études, montrent aussi ces documents internes.

L’enjeu est de taille

Ces derniers mois, le lobbying des industriels auprès des élus européens et des membres de la Commission s’est accéléré. Mardi soir, la veille de l’audition, ils ont organisé un dîner à Bruxelles où se sont rendus quelques élus. En fin de semaine, ce sont des bus Bayer qui vont venir chercher les eurodéputés pour leur faire visiter leurs installations dans la région. Pour les fabricants des pesticides, l’enjeu est de taille. Le 23 octobre, après quatre reports, les Etats-membres vont devoir voter pour ou contre le renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour dix ans.

Eric Andrieu, Marc Tarabella et le député PS Guillaume Balas estiment que les gouvernements ne sont pas assez informés sur la question pour prendre une telle décision : «Nous avons conscience que nous ne pouvons nous passer du glyphosate du jour au lendemain sans causer de graves dommages financiers aux agriculteurs», souligne le premier. «Le plus raisonnable est de ne permettre qu’une réautorisation pour un an renouvelable, développe Guillaume Balas. En parallèle, nous allons tenter d’obtenir une majorité au Parlement pour la création d’une Commission spéciale sur le glyphosate et une Commission d’enquête sur les manipulations de Monsanto.» Devant la salle d’audition, Marc Tarabella ajoute : «Si le Commissaire Andriukaitis ne fait pas marche arrière sur la réautorisation pour dix ans, je demanderai sa démission.»

Aude Massiot Envoyée spéciale de Libération à Bruxelles

4 réflexions sur “ Normal que les industriels payent les études sur la sécurité de leur produit?

  1. Depuis toujours les industriels des pesticides agissent ainsi. Marie Monique ROBIN, célèbre journaliste d’investigation a oeuvré pendant 3 ans sur le sujet Monsanto. Elle a écrit un livre passionnant démontrant toutes les combines de cette organisation de la mort qu’est Monsanto, c’est cette enseigne qui a fabriqué le fameux « Agent orange » qui a fait tant de morts durant la guerre au Vietnam. Marie-Monique a été menacée de mort.
    C’est aussi par les consommateurs que l’ont pourra faire avancer les choses, comme dans de multiples causes si les gens refusent d’acheter ou de consommer des produits toxiques ou nocifs pour notre santé et l’environnement les industriels devront changer de direction.

  2. Réautoriser le glyphosate ou être attaquée en justice par Monsanto. Voilà deux options qui résument la marge de manœuvre limitée de la Commission européenne sur le dossier explosif du renouvellement de l’homologation de l’herbicide le plus utilisé au monde et ingrédient actif du Roundup.

    A une semaine de la réunion du comité où les représentants des Etats membres de l’Union européenne (UE) devront se prononcer, la tension et le suspense sont à leur comble. Pour faire passer, mercredi 25 octobre, la proposition de renouvellement pour dix ans qu’elle a mise sur la table, la Commission a besoin d’une majorité qualifiée (55 % des Vingt-Huit, représentant 65 % de la population de l’UE). A elles deux, la France et l’Allemagne devraient faire échouer l’actuel projet de Bruxelles.

    En France, selon nos informations, l’arbitrage entre le ministère de la transition écologique et solidaire et celui de l’agriculture n’est toujours pas fait. Nicolas Hulot souhaite une réautorisation pour trois années au maximum, quand son collègue, Stéphane Travert, veut une remise en selle du produit pour cinq à sept années. Mais Matignon s’est fermement engagé à ne pas voter un renouvellement pour une autre décennie.

    « Je ne lâche pas l’affaire, tout se fera dans la période du quinquennat, j’essaye d’élaborer une stratégie de sortie dans un temps court, confie le ministre de la transition écologique. Le contexte rend le sujet incontournable et son traitement tout autant. Plus personne ne peut esquiver. »

    En Allemagne, la chancelière, Angela Merkel, négocie pour former un nouveau gouvernement avec les libéraux et les Verts, qui font de la réautorisation du glyphosate un casus belli potentiel. Ainsi, qu’un nouveau gouvernement soit ou non formé le 25 octobre, l’abstention de Berlin semble acquise. A ce jour, seuls les Pays-Bas et le Danemark ont annoncé qu’ils voteraient pour. L’Autriche et l’Italie voteront contre.

    Que va-t-il se passer ?…
    Le Monde du 17-10-2017

  3. Les représentants des 28 états membres de l’Union européenne (UE) n’ont pas renouvellé la licence du glyphosate pour cinq ans. La France, poids lourd démographique de l’UE dont l’importance compte dans les votes à majorité qualifiée, a voté contre. « La France est sur une position de trois ans », a annoncé Nicolas Hulot. D’autres pays comme le Luxembourg avaient également prévenu qu’ils voteraient contre, tandis que certains, comme l’Allemagne, se sont abstenus lors du vote de jeudi.

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