Orientation scolaire dans les territoires
Le milieu d’origine social et culturel, comme le lieu de résidence, influe fortement sur l’ambition des jeunes ou à contrario leur degré d’autocensure. Pour le co-président de l’association « Article 1 », Benjamin Blavier, les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur et les freins à l’insertion professionnelle ont atteint des niveaux tels que les collectivités et les élus n’ont plus d’autre choix que de s’y investir aux côtés de l’Etat.
Appartient-il aux élus de faciliter la réussite et l’orientation des élèves de leurs territoires ?
Nombre de jeunes, de la troisième à la terminale, sont en cruel déficit d’information, tant pour s’insérer – stage, alternance – lorsqu’ils sont en filière professionnelle que pour s’orienter vers l’enseignement supérieur lorsqu’ils sont bacheliers. Le sujet de l’orientation n’est simple pour personne. Mais, de par leurs origines sociales, territoriales ou ethniques, les élèves issus de milieux populaires ont besoin d’un accompagnement tout particulier. Leurs professeurs et leurs familles, démunis et généralement sans connaissance ni expérience en la matière, ne sont pas forcément les interlocuteurs idéals.
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Les jeunes issus des catégories populaires doivent fournir un effort supplémentaire pour obtenir les mêmes chances de réussite que le reste de la société. Il y aurait énormément de progrès à faire pour les aider à combler les inégalités faramineuses en termes d’accès à l’enseignement supérieur existants d’une région à l’autre. Les écarts varient du simple au double entre certaines zones des Hauts-de-France et d’Auvergne-Rhône-Alpes. Or, nous n’avons que très peu de contacts avec les élus locaux.
Mais cette tâche ne devrait-elle pas incomber à l’Etat ?
Les élèves fréquentant des lycées des quartiers défavorisés, ou les établissements de petites communes isolées, de territoires ruraux ou de bassins d’emplois fragilisés, parviennent rarement à s’orienter correctement.
Lorsque ces jeunes plutôt rétifs à la mobilité étudiante ne s’autocensurent pas dans leurs choix, ils ont tendance à pêcher faute d’avoir les moyens de partir étudier, et payer les frais de transports et d’hébergement afférents. Le manque de réseaux les pénalise également. Et lorsqu’ils parviennent malgré tout à compenser leurs handicaps financiers et culturels, ils se heurtent alors à la saturation de l’offre de logements, se loger par soi-même dans le parc privé renchérit le coût de la vie étudiante. Cette précarité force l’immense majorité d’entre eux à travailler en parallèle de leurs études pour se payer un semblant d’appartement, quitte à mettre en péril leurs chances de réussite.
Certes, mais que peuvent faire concrètement les collectivités pour lutter contre les inégalités sociales d’accès et de réussite dans l’enseignement supérieur ?
Tous les élus porteurs d’une ambition périscolaire sincère disposent d’un certain nombre de leviers qu’ils peuvent activer pour tenter de lever ces différents freins. Ils auraient tort de rejeter la faute sur d’autres acteurs, l’Education nationale, le ministère de l’Enseignement supérieur ou les responsables administratifs de grandes universités. En dépit de quelques réussites individuelles qu’on peut observer ici ou là, les grandes masses statistiques ne mentent pas. Il nous revient collectivement d’ouvrir les possibles de ces jeunes citoyens, lors de journées de découverte des métiers ou des ateliers d’aide à l’orientation assurés en présentiel, par leurs pairs. Sinon, vous pouvez être certains de reproduire les inégalités : les jeunes défavorisés reprendront les activités professionnelles de leurs parents
Pour éviter qu’ils ne choisissent leurs avenirs uniquement en fonction de la seule offre de formation disponible à proximité, les collectivités devraient également les aider à élargir leurs horizons. Il faut s’assurer que tous ceux qui auraient l’envie et les capacités scolaires de poursuivre leurs études soient informés des différents dispositifs d’aide ou de financements (bourses, alternances) à leur disposition pour partir étudier ailleurs, dans les métropoles voisines mais pourquoi pas aussi dans d’autres petites villes où le coût de la vie et donc des études s’avère plus faible.
Faut-il mettre fin au « big is beautiful » et déconcentrer les antennes universitaires des grandes villes où le coût de la vie est chère vers les villes petites et moyennes à revitaliser ?
Qu’est-ce qui vous inquiète ?
Cette stratégie est intéressante, à condition simplement de ne pas faire courir de risque de ghettoïsation supplémentaire aux jeunes issus des milieux populaires. Certains privilégient déjà la formation la plus proche du domicile de leurs parents plutôt que celle qui leur correspondrait le plus… Veillons à ne pas leur ajouter de freins territoriaux : les collectivités ne doivent pas forcer les destins de leurs jeunes, mais bien élargir leurs horizons !
De ma remarque, découle un autre biais à éviter : une micro-antenne universitaire qui ouvrirait dans une petite ville comme Gaillac ne doit pas se contenter de drainer les jeunes résidant à proximité, mais s’efforcer d’être attractive pour recruter aussi de jeunes parisiens, lyonnais ou toulousains. Cela implique de développer une offre pointue au rayonnement national, en lien si possible avec l’expertise de l’industrie locale pour faciliter l’accès aux stages et multiplier les débouchés professionnels. Bien sûr, les collectivités concernées devraient songer de leur côté à développer leur offre de logements étudiants pour accueillir ces nouveaux publics.
Les étudiants se sont concentrés dans les métropoles, où le coût de la vie est notoirement plus élevé et où apprendre nécessite donc plus d’argent. A Lyon, par exemple, leur nombre est passé de 120 000 à 170 000 en quinze ans. Sans que les pouvoirs publics n’aient toujours les moyens d’adapter l’offre de logements ou de répondre à leur précarité grandissante, comme l’a illustré l’immolation récente d’un étudiant devant le Crous, début novembre.
Face à la saturation des grandes métropoles, c’est peu dire que les villes petites et moyennes ne cèdent pas toutes à la nostalgie. Si l’enseignement supérieur continue évidemment d’être du ressort de l’Etat, nombre d’intercommunalités se sont saisies de cette compétence facultative depuis le vote des lois « Maptam » et « Notre ». Voyant dans ce «talisman» un levier d’attractivité pour faire face à leurs difficultés socio-économiques, elles sont de plus en plus nombreuses à inclure la formation dans leurs projets de territoire voire leur plan « Action cœur de ville ». Et, pour certaines, à s’illustrer tant en matière de démocratisation de l’accès aux études que de développement de l’offre de formations en lien avec les besoins locaux ou de dynamisation de l’écosystème local.
Un nouvel aménagement territorial de l’enseignement supérieur ?
La multiplication de leurs interventions rendra-t-elle les villes infra-métropolitaines bientôt indispensables, au point de convaincre les métropoles et le ministère de l’Enseignement supérieur de revenir à un modèle leur étant plus favorable? Rompre avec la logique du «big is beautiful» et la marchandisation de l’université, c’est bien ce qu’espèrent secrètement ces élus désireux de voir émerger un nouveau mouvement de déconcentration de l’enseignement supérieur.
courrier des maires