Que peuvent faire les élus municipaux pour les centre-villes?

Alors que le gouvernement s’apprête à dévoiler d’ici la fin de l’année un plan de revitalisation des villes moyennes, Franck Gintrand rebondit sur une idée du ministre de la Transition écologique et solidaire : taxer davantage l’artificialisation des terres agricoles. Selon le directeur général du cabinet de Global Conseils, une telle redevance pourrait permettre de rééquilibrer les termes de la concurrence entre zones commerciales périphériques et centres-villes marchands. Interview.

L’augmentation constante de la vacance commerciale au cours des cinq dernières années marque-t-elle la fin de l’âge d’or des villes moyennes ?

Elles ne vont pas objectivement pas bien, et les moyens dérisoires qui sont mis actuellement pour y remédier me rendent plus que perplexe. C’est d’autant plus inquiétant que cette tendance de fond a trouvé une traduction politique lors des élections municipales 2014…

La crise des centres-bourgs et autres villes petites ou moyennes ayant souffert de la désindustrialisation et aujourd’hui en voie de paupérisation concorde avec la montée des votes protestataires, pour ne pas dire de l’extrême-droite. Preuve qu’il s’agit là d’un véritable enjeu de société, et que l’Etat pas davantage que les collectivités ne peuvent se contenter de coller un énième pansement sur une jambe de bois.

Que vous inspire les stratégies d’animation et de redynamisation commerciale des centres- villes mises en place ici ou là ?

Les efforts déployés par divers élus pour revitaliser leurs cœurs d’agglomération sont louables, mais dérisoires au regard de la situation actuelle. L’organisation de lotos, de journée spéciale « commerces » voire la création d’un circuit touristique en petit train ne suffiront pas pour redonner de solides raisons aux habitants de flâner en centre-ville et ainsi rivaliser avec la force de frappe des centres commerciaux.

Pourtant, sans moyens financiers conséquents, seules des actions homéopathiques de ce type, n’ayant finalement vocation qu’à accompagner le déclin et faire en sorte qu’il soit le moins douloureux possible, risquent de voir le jour.

Faut-il les compléter, aussi, d’un programme de requalification du centre-ville ?

C’est un des multiples leviers à actionner, oui, mais attention aux stratégies déconnectées des réalités. Les millions investis en faveur de la piétonisation auraient probablement pu être utilisés à meilleur escient dans les villes moyennes où les individus continuent d’aller au travail ou faire leurs courses en voiture…

Plus que l’animation commerciale, la requalification du centre-ville ou la sociologie de la population et le peuplement, il me semble que la première question à poser porte sur l’équilibre du territoire. Est-ce que les pouvoirs publics sont prêts à davantage fiscaliser les terres agricoles non bâties – peu chères et où il est facile de construire – pour limiter les constructions en périphérie et permettre, en parallèle, de financer un ambitieux plan de sauvetage des villes moyennes ?

D’après vous, la dévitalisation des centres-villes est le fruit de l’étalement urbain et de la multiplication des centres commerciaux en périphérie…

Je ne cherche pas de coupable, puisque chaque acteur ne fait que jouer son rôle, finalement. Pour vendre ses produits le moins cher possible et faire un maximum d’argent possible, la grande distribution s’installe en priorité sur des terrains à bas coût, généralement hors de tout tissu urbain ; les élus souhaitent des constructions et des réalisations avant la fin de leur mandat ; et que veulent les consommateurs ? Payer leurs courses le moins cher possible – et la concurrence entre distributeurs a objectivement permis d’augmenter le pouvoir d’achat des Français.

La guerre des prix et des territoires que se livre les principales enseignes de la grande distribution n’explique-t-elle, pas, tout de même, la « bulle de l’immobilier commercial » que connaît actuellement la France ?

En dépit d’un ralentissement des ouvertures d’hypermarchés depuis quelques années, des centaines de projets de rénovation – c’est-à-dire, en réalité, d’extensions – de centres commerciaux et de leurs galeries marchandes sont encore dans les cartons. Quasi-exclusivement des ensembles situés… en périphérie, faisant directement concurrence aux centres-villes marchands.

En fait, depuis l’entrée en vigueur de la loi LME en 2008, chaque demande de création donne aujourd’hui lieu à autant de demandes d’extensions dans les zones concurrentes existantes. Vous vous doutez bien que ce n’est pas lié à une augmentation de la demande, d’où le terme de « bulle » qui me semble approprié. Il s’agit d’une simple stratégie de survie : ces parcs commerciaux tentent d’asseoir leur suprématie sur leurs zones de chalandise pour asphyxier leurs concurrents.

Tout ceci ne serait pas très grave si cette artificialisation n’avait pas d’impacts sur le paysage ni l’environnement. La frénésie d’ouvertures et de travaux de modernisation dans la région de Nice et Cannes a poussé Cap 3000 à demander – et obtenir – une troisième extension alors que le centre est situé en zone inondable, dans un département particulièrement sujet aux inondations…

Mais pourquoi les élus municipaux continuent-ils de leur donner des autorisations de construire, alors ?

Je ne serai pas celui qui instruirait le procès des élus : la plupart commencent à prendre conscience que le développement périphérique anarchique nuit aux commerces de ville-centre, même si certains irréductibles continuent à nier toute corrélation… Mais pourquoi les accabler alors qu’ils sont en grande partie victimes de la grande distribution, qui exploite à merveille les concurrences entre communes.

Cette industrie leur laisse le choix entre installer des centres commerciaux chez eux avec la fiscalité et les créations d’emplois induits, ou bien chez leurs voisins directs qui se poseraient moins de questions avec, dans ce cas-là, des inconvénients pour seule conséquence. En cela, la plupart des élus se retrouvent dans la même position que les agriculteurs ou les producteurs, c’est-à-dire bloqués. Et, comme eux, ils ont également peur de briser la loi du silence.

Estimez-vous que les élus disposent encore de marges de manœuvre pour faire face à cette « financiarisation » des centres commerciaux ?

La question mérite d’être posée, en tout cas. Depuis que les Commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) ne peuvent plus justifier leur refus que par des critères environnementaux et non plus pour « suréquipement économique » par exemple, les instances de régulation ne jouent plus leurs rôles de modérateurs.

En obtenant une extension pour implanter avec Auchan un complexe commercial muni d’une galerie marchande dans l’agglomération de Caen, qui sature déjà, Ikea a mis la classe politique intercommunale – gauche et droite confondue – devant toute son impuissance.

Certes, mais peu de collectivités semblent avoir osé mettre en place des politiques coercitives en réponse…

Si la taxe sur les locaux commerciaux vacants peut avoir du sens dans les métropoles naturellement attractives, c’est moins le cas dans les villes moyennes où la vacance commerciale atteint 10 à 15%, où les propriétaires sont eux aussi victimes de la crise d’attractivité des centres-villes. Si nous ne souhaitons pas que ce phénomène macroéconomique continue de s’amplifier à moyen-terme, la vraie urgence consiste à taxer plus massivement les terres agricoles afin de stopper la folie des périphéries et/ou se doter de moyens financiers conséquents. C’est véritablement la première mesure à prendre.

Pourquoi pas, non plus, mettre en place des moratoires locaux empêchant toute création de centres commerciaux en plein champ. Il ne s’agit pas tant de punir de manière idéologique ou dogmatique la grande distribution, mais plutôt de donner la garantie à des investisseurs comme Monoprix, les Galeries Lafayette, Zara ou Habitat – qui ne sont pas franchement des associations caritatives – que le centre-ville est bien une zone d’avenir, et que leur argent ne s’évaporera pas à moyen-terme avec l’ouverture d’une énième zone commerciale en périphérie.

Le gouvernement doit rendre de prochains arbitrages en vue du plan de revitalisation des villes moyennes qu’il annoncera d’ici la fin de l’année. Pensez-vous qu’il puisse retenir de telles mesures ?

Cela ne me paraît pas inconcevable. D’ailleurs, Nicolas Hulot a évoqué dans la Gazette des communes une réflexion en cours sur la création d’une redevance permettant de « lutter contre l’artificialisation des sols et contribuer notamment à financer la préservation de la biodiversité. »  Les parlementaires et les élus locaux doivent soutenir ce projet de taxe sur les constructions neuves en plein champ, qui génèrent un mitage dévastateur. C’est la seule manière de rééquilibrer la concurrence entre les zones périphériques ou le mètre carré ne vaut quasiment rien et les centres villes ou les modalités d’implantation sont non seulement complexes mais aussi particulièrement coûteuses. A défaut de pouvoir alléger la fiscalité des centres villes faute de moyens financiers, il n’y a pas d’autre choix que d’alourdir celle sur la périphérie.

Demain, il faut faire en sorte que les investisseurs envisagent de nouveau l’implantation en centre ville. Aujourd’hui ce n’est malheureusement plus le cas : plus aucune entreprise importante de distribution ne mise sur les villes moyennes. Normal : les conditions économiques actuelles concourent à orienter tous les investisseurs en périphérie. C’est cette logique qu’il faut réussir à inverser. Quant à l’utilisation qui pourrait être faite de cette taxe, je trouverai plus logique qu’elle soit utilisée à la reconstruction des centres villes qui peuvent encore être sauvés. Mais dans tous les cas, son instauration constituerait un progrès considérable et serait un signal fort !

Le Courrier des maires