« Ceux de 14 » de Maurice Genevoix

« Il fait lourd, une chaleur énervante et malsaine. Des nuages flottent, qui peu à peu grossissent, d’un noir terne qui va s’éclaircissant sur les bords, frangés d’un blanc léger et lumineux. Par instants des souffles passent sur nous, effluves tièdes qui charrient une puanteur fade, pénétrante, intolérable. Je m’aperçois que nous respirons dans un charnier.

            Il y a des cadavres autour de nous, partout. Un surtout, épouvantable, duquel j’ai peine à détacher mes yeux : il est couché près d’un trou d’obus. La tête est décollée du tronc, et par une plaie énorme qui bée au ventre, les entrailles ont glissé à terre ; elles sont noires. Près de lui, un sergent serre encore dans sa main la crosse de son fusil ; le canon, le mécanisme doivent avoir sauté au loin. L’homme a les deux jambes allongées, et pourtant un de ses pieds dépasse l’autre : la jambe est broyée. Tant d’autres ! Il faut continuer à les voir, à respirer cet air fétide, jusqu’à la nuit.

            Et jusqu’à la nuit, je fume, je fume, pour vaincre l’odeur épouvantable, l’odeur des pauvres morts perdus par les champs, abandonnés par les leurs, qui n’ont même pas eu le temps de jeter sur eux quelques mottes de terre, pour qu’on ne les vît pas pourrir. »

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Mobilisé dès le 2 août 1914, Maurice Genevoix sera au combat, sur le front, jusqu’à ce qu’il soit grièvement blessé le 25 avril 1915, dans les environs de la colline des Éparges. S’en suivront sept mois d’hospitalisation.

Maurice Genevoix (1890-1980) est entré au Panthéon, le mercredi 11 novembre 2020.