Crise des gilets jaunes : comment les maires imaginent la future concertation nationale

Après quatre semaines de secousses sociales, le gouvernement cherche une sortie de crise. L’exécutif veut aujourd’hui « pousser » les gilets jaunes à s’asseoir autour de la table pour « construire » des solutions dans les semaines à venir. Quant à la place des maires dans ce dispositif, elle semble avoir évolué au fil des jours. Certains élus attendent néanmoins de voir ce que le gouvernement imagine avant de s’engager pleinement dans la concertation.

Au départ, il était question de mairies, de cahiers de doléances et de réunions pilotées par les préfets. Bref : juste ce qu’il fallait pour irriter un peu plus encore les Gilets jaunes – en quête d’horizontalité dans leur rapport à la politique, mais aussi les maires, qui répètent en avoir assez de cette concentration des pouvoirs à Paris ou entre les mains des préfets. Sous la pression, le gouvernement a donc revu sa copie ces derniers jours.

Aux trente ans de l’association de Villes de France organisés le 12 décembre, Édouard Philippe a donc précisé sa pensée et fait montre de « souplesse » : « Je souhaite que ce débat soit très territorial, il faut privilégier un ‘process’ qui n’ait rien d’un jardin à la française […] Le débat doit être le plus territorialisé possible. Evidemment avec les maires, s’ils souhaitent l’organiser. Il va commencer, il faut que ce soit intense […] et déboucher sur des décisions qui devront être prises par le Parlement ». Car il n’a pas échappé au Premier ministre que les Gilets jaunes se montrent plus que sceptiques vis-à-vis de tout corps intermédiaire qui pourrait relayer leurs doléances : « Nous avons parfois des Gilets jaunes [dont les revendications] relèvent de la remise en cause de la démocratie représentative… » a-t-il glissé.« Nous voulons participer au Grand débat national qui évidemment sera démultiplié sur le territoire, a pour sa part confirmé Jean-François Debat, vice-président de Villes de France. Et être associés aux décisions que vous prendrez à la suite de cette phase de dialogue. » Lui même a instauré dans sa ville de Bourg-en-Bresse des « cahiers de demandes des citoyens », expression qu’il préfère à celle « un peu trop royaliste » à son goût de « cahiers de doléances »…

Ceux qui attendent de voir

Reste que pour certains élus, la défiance vis-à-vis de l’exécutif est telle qu’ils préfèrent encore « attendre » avant de s’engager. C’est le cas d’Olivier Gacquerre, maire UDI de Béthune. « J’attends de voir quels sont les objectifs. S’ils sont flous dès le départ, il ne faudra pas compter sur les maires. Nous avons une grosse pression au quotidien sur nos territoires et on ne va pas jouer au divan d’Henry Chapier : ‘Allongez-vous, tout va bien se passer…’ Si le gouvernement m’explique que je suis juste là pour remonter des doléances, et que je suis un prétexte pour calmer les esprits, ce sera non. On mérite mieux que cela », prévient-il.

L’élu du Pas-de-Calais se montre d’autant plus courroucé qu’il garde un souvenir cuisant de la fin de non-recevoir adressée par le Président de la République cet été aux élus qui s’étaient engagés – des mois durant autour de Jean-Louis Borloo- sur un nouveau plan Banlieue. « On avait bossé comme des dingues, on arrivait avec des propositions… et il nous a claqué le beignet ! » reproche-t-il au chef de l’Etat.

Un débat avec le maire… mais pas qu’autour du maire !

Du côté de l’Association des Petites Villes de France (APVF), qui avait organisé le week-end dernier, comme son alter-ego des maires ruraux (AMRF), une opération #MairieOuverte, pas question non plus que les maires servent de fusibles. « Il est évident que ce débat ne doit surtout pas être un débat de préfecture, un débat d’experts. Nous pensons que le bon échelon est bien celui de la proximité, celui de la commune » explique Christophe Bouillon, député Nouvelle Gauche de Seine-Maritime.

« Mais cela ne veut pas dire qu’il faut organiser ces débats autour du maire… mais davantage avec le maire, poursuit l’élu. C’est une nuance importante, car certaines solutions aux problèmes révélés par les Gilets jaunes échappent aux compétences des maires, notamment en termes de fracture territoriale. Il ne faudrait pas ‘refiler la patate chaude’ aux maires ».

Un débat à l’échelle du bassin de vie

Une vision que partage l’Assemblée des Communautés de France (AdCF) qui imagine justement un mode d’emploi à plusieurs échelles. Dans un premier temps, le recueil de doléances serait animé par les maires « représentants d’un petit bout de la démocratie locale ». Puis, propose Jean-Luc Rigaut, maire UDI d’Annecy et président de l’AdCF, dans un second temps, un débat à « l’échelle du bassin de vie et de l’intercommunalité, avec des représentants des gilets jaunes, les maires qui rapporteraient ce qu’ils ont entendu, mais aussi tous les autres acteurs des territoires : département, région, préfet, CCI, etc. » Pour l’AdCF, il serait pertinent que ce débat-là soit piloté par la Commission nationale du Débat Public (CNDP) pour « éviter toute posture politicienne ». Le troisième temps serait enfin celui de « la restitution » après que chaque strate en responsabilité ait pris sa part dans la résolution des problèmes.

Pour Karl Olive, maire LR de Poissy, et membre fondateur de l’association Génération Terrain, qui a rencontré Emmanuel Macron la semaine dernière avec une poignée d’autres maires, il est nécessaire d’injecter « du bon sens » dans l’organisation de cette grande concertation nationale. « Nous n’excluons aucune idée. Pourquoi pas un cahier de doléances dans les petites communes ? Pourquoi pas la CNDP si le maire ne souhaite pas animer lui-même le débat ? Ce qui compte c’est que cela marche et que cela soit adapté aux différents territoires » précise l’élu francilien.

Lui-même devrait, avec ses collègues de l’association, soumettre au Président de la République un canevas possible au cours de la semaine prochaine.

 

Changer le logiciel avec les maires… et avec les citoyens

Quant aux thèmes à aborder lors de cette grande concertation, tout le monde tombe à peu près d’accord : pouvoir d’achat, mobilités, logement, énergie. Idem sur la nécessité pour l’exécutif de « changer de méthode » de gouvernance avec les élus locaux. Ainsi, à l’APVF, cette crise doit être l’occasion de mettre sur la table un véritable « pacte territorial » explique Christophe Bouillon, « c’est insupportable pour les maires d’être confrontés à des problèmes et de ne pas avoir les moyens de les résoudre. La recentralisation que nous avons vécue ces derniers mois n’est plus tenable ».

Même constat à l’AdCF et même appel du pied à l’exécutif : « il faut revenir à des contrats de territoires ! ».

De la co-construction locale à… la VIème République

Mais certains élus vont plus loin, remarquant que cette horizontalité mise en lumière par le mouvement des Gilets jaunes, doit désormais s’incarner dans la vie politique future, évoquant une « nouvelle co-construction ». « C’est une bonne chose que les citoyens se réapproprient le débat public, et se posent des questions sur nos finances, il faut saisir la balle au bon et leur dire : ‘venez avec nous définir les solutions’ » décrit Christophe Bouillon de l’APVF. Karl Olive souligne aussi cette soif de débat à l’échelle de la commune : « nous préparons les conseils municipaux dans les quartiers, et pendant trois heures chaque mois, on s’en prend plein la tête, mais on répond à toutes les questions en prise directe. C’est essentiel aujourd’hui. »

D’ailleurs, pour Olivier Gacquerre, maire de Béthune, sa page Facebook, outil si prisé des Gilets jaunes, est un moyen pour les habitants de l’interpeller en direct et sans filtre : « Nous, les maires, sommes encore écoutés sur les territoires, car nous sommes déjà entrés dans un modèle de démocratie contributive avec une co-production des solutions avec les citoyens. Pour moi, la verticalité de la 5ème République est morte avec les Gilets jaunes. Il est temps d’inventer une 6ème République ».