Dévitalisation des centres-bourgs. Les Sénateurs touchent le cœur du problème

Après un premier rapport d’information, le groupe de travail sur la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs a dévoilé une proposition de loi ambitieuse, jeudi 19 avril. Abordant le logement comme la fiscalité ou la régulation de l’urbanisme commercial, les sénateurs Rémy Pointereau et Martial Bourquin semblent avoir conquis les élus locaux comme les petits commerçants.

Pour le Sénat, cela ne fait aucun doute. Le « Pacte national de revitalisation des centres-villes » proposé par Rémy Pointereau et Martial Bourquin se révèle bien plus ambitieux que le plan « Action cœur de ville » dévoilé, par bribes, au cours des dernières semaines par le ministère de la Cohésion des territoires. « Notre dispositif aligne des mesures structurelles, et non pas correctives et ponctuelles, qui plus est à la main des collectivités ou de leurs groupements » souligne d’emblée Martial Bourquin, pointant en creux les défauts de l’offre gouvernementale. « Par ailleurs, l’article 66 du projet de loi ELAN exclue du dispositif Action Cœur de ville tous les territoires inframétropolitains comme Roubaix ainsi que les centres-bourgs et les petites villes. Nous devrions permettre à tous les élus dont les territoires sont touchés par ces phénomènes de dévitalisation de déployer des stratégies territoriales responsables de développement de leurs centres-villes » continue le sénateur socialiste du Doubs.

Une agence pour « réarmer » les centres-villes

Concrètement, c’est l’objectif affiché par le dispositif « Opérations de sauvegarde économique et de redynamisation » (OSER) créé par l’article 1 de cette proposition de loi. L’article 5 ouvre droit, par exemple, à une procédure d’opposition au départ des services publics en périphérie (article 5). Les commerçants pourront se voir mettre à disposition un local en échange d’une redevance proportionnelle au chiffre d’affaires (article 11). Autre dispositif facilitateur pour les professionnels : les magasins de producteurs de produits alimentaires commercialisés en « circuits courts » ou encore les projets d’implantation commerciale situés sur d’anciennes friches seront exonérés de l’obligation d’autorisation d’exploitation commerciale (article 20). Anticipant les questionnements budgétaires des élus, les sénateurs n’ont pas manqué d’instituer une « contribution pour la lutte contre l’artificialisation des terres » et une « taxe sur les livraisons liées au commerce électronique » au bénéfice des collectivités concernées par les OSER (articles 26 et 27).

Le projet de création d’une Agence de cohésion des territoires annoncée de longue date n’est toujours pas sur pied que Martial Bourquin et Rémy Pointereau veulent déjà lui adjoindre une « agence nationale des centres-villes et centres-bourgs. » Objectif de cet article 2 : « réarmer les collectivités et leurs EPCI en ingénierie. » De quoi, par exemple, les aider à mieux réguler les implantations commerciales. Les deux sénateurs préparent une profonde réforme des « Machines à dire Oui » que sont devenues les CDAC, qui accordent 90% d’autorisations.

(Le CDAC est la Commission Départementale d’Aménagement Commercial elle examine les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale, par exemple les Grandes Surfaces) « Nous avons aussi pensé, mais finalement exclu, l’idée d’un moratoire national. Les élus auront tout de même la possibilité de décréter des moratoires locaux, au niveau de leurs agglomérations ou du SCOT » liste également le second, questeur du Sénat et ancien président du conseil départemental du Cher.

Des villes-dortoirs ou maximisant le lien  social ?

De l’urbanisme à l’animation commerciale en passant par le logement, le cadre de vie, le stationnement et la présence de service, « il faut oser si nous souhaitons nous donner les moyens d’arrêter le délitement de nos centres-villes » claironne Martial Bourquin. « La revitalisation des centres-bourgs comme des villes moyennes ne se résume pas à une nécessité économique ou sociale. Il s’agit d’un enjeu de société. Il faut se poser la question de quelle ville voulons-nous demain : des villes-dortoirs ou des villes à l’européenne, qui cultivent et maximisent le lien social ? Si vous souhaitez retenir la seconde option, vous aurez besoin de documents d’urbanisme plus rigoureux, rendus prescriptifs » questionne et répond en même temps, Rémy Pointereau. Leur proposition de loi sera discutée le 13 juin au Sénat.

Résolument « transpartisane », à l’image du groupe de travail qui l’a imaginé, le président de la délégation aux Collectivités du Sénat estime à « 99% » le pourcentage de chances d’être adoptée. S’ils pourraient tenter d’assurer le coup en amendant la loi ELAN avec quelques-uns de leurs articles, l’ambition des sénateurs est belle et bien de mettre ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. « Nous ferons également le SAV » confirme Jean-Marie Bockel, qui compte sur « des complicités. » Il a notamment abordé le sujet avec son homologue de l’autre chambre en charge de la délégation aux collectivités, « afin d’aller jusqu’au bout d’un certain nombre de propositions concrètes comme celles-ci. »

Approche globale et volontarisme politique

Par la voix de son président, Vanik Berberian, l’AMRF a applaudi des deux mains l’initiative parlementaire : « le diagnostic a été posé, c’est bien que les sénateurs nous dégagent aujourd’hui quelques perspectives. On a compris que l’équilibre des territoires était un vrai sujet d’avenir si l’on tenait à disposer de villes et de bourgs vivants. » L’Association des Maires de France (AMF) a également salué le Pacte national et émis plusieurs propositions (voir encadré). Des élus locaux se réjouirent également que les sénateurs « fassent confiance à l’intelligence territoriale » et leur « donnent les moyens de nous confronter à la dévitalisation des centres-bourgs. » « Vous avez enfin touché le cœur du problème » s’exclamèrent plusieurs représentants de commerçants et de managers de centres-villes, séduits par cette approche globale travaillant autant sur le logements ou l’urbanisme commercial que la fiscalité ou la transmission des entreprises.

Haut-fonctionnaire du ministère de la Transition écologique et expert du sujet, Pierre Narring rappela aux deux sénateurs que le plus dur commence aujourd’hui… mais qu’ils avaient quelques arguments à faire valoir : « les tentatives précédentes de réforme de l’urbanisme commercial pour faire valoir des objectifs d’aménagement du territoire ont échoué parce que des adversaires lui opposaient le droit européen en invoquant le principe de libre-entreprise. Sachez qu’il n’y a pas d’opposition. Récemment encore, un arrêt du 30 janvier dernier de la CJUE a encore tranché en ce sens. » Bref, que d’échos positifs, donc. Il faut dire que les représentants de la grande distribution et des commerces intermédiaires, terrés au fond de la salle, se sont fait bien silencieux. Tout juste a pu entendre un de leurs conseillers susurrer à l’oreille d’un de ses collègues que « la proposition de loi pourrait ne pas être entièrement reprise par l’Assemblée nationale… »

L’AMF souffle ses idées pour le commerce

Insistant sur « l’urgence » de créer une nouvelle politique publique de revitalisation des centres-villes malgré le tropisme pro-métropolitain d’experts gouvernementaux comme ceux de « France Stratégie [qui] résument l’aménagement du territoire à six métropoles », François Baroin a remercié le Sénat au nom de l’AMF.

PLUi commercial – Après la dizaine de louanges reçues, il ne s’est pas éternisé et a profité de son intervention pour alerter ses anciens homologues : « vous avez pu observer les réticences bien naturelles de certaines maires à accepter l’idée de PLU intercommunaux. Cela signifierait se délester de leurs pouvoirs d’urbanisme et potentiellement se faire imposer leurs politiques de peuplement. Soyez rassuré que le sujet de la régulation de l’urbanisme commercial fait davantage consensus. Le législateur pourrait tout de même travailler sur un PLUi commercial, spécifique afin de garantir aux intercommunalités le pouvoir de dire Non aux CDAC. A Troyes, nous avons élaboré une charte pour réguler l’urbanisme commercial. Il s’agit d’une initiative sympathique, mais pas opposable juridiquement. Peut-être devriez-vous travailler dessus… »

François Baroin a également alerté sur le Sénat sur la situation des centres-bourgs et villes moyennes dans dix ans. Pour le maire (LR) de Troyes, « revitaliser le cœur de ville, c’est bien ; mais la question du modèle économique des grandes surfaces est posée du fait de la concurrence d’Amazon et Alibaba. Il y a des friches en cœur de ville et il faut les traiter, mais il existe aussi des risques de problèmes de friches à échéance rapide en première ou deuxième couronne. »

Courrier des maires