Le blues des maires de petites communes

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Baisse des dotations, concurrence des intercommunalités… De plus en plus d’élus démissionnent

Entre son bureau à la mairie de Jaulnay (Indre-et-Loire) et la boulangerie, Maurice Talland n’a qu’une rue à traverser. Alors en cas de panne de réveil d’un bénévole ou de trou dans le planning, c’est lui que l’on appelle pour -assurer le fonctionnement du -dépôt de pain. En  2016, quand le village de 270 habitants a perdu coup sur coup son bar-tabac et sa boulangerie, ce maire a eu l’idée de rouvrir cette dernière sous forme associative. Avec succès, puisque trois mois après, le lieu revit.  » Je pourrais presque tenir ma permanence ici « , plaisante-t-il, tant les habitants ont pris l’habitude de venir y discuter de leurs problèmes.

Pour tenter de pallier la désertification des campagnes françaises, de nombreux maires de petites communes endossent volontiers, tour à tour, le rôle de chef de projet, animateur, assistante sociale et gestionnaire du budget communal. Alpagué sur le marché, au coin d’une rue ou directement à l’hôtel de ville, le premier des élus estune figure centrale dans les villages. Souvent originaire du coin, il connaît les problématiques et l’histoire de son territoire, et ne semble jamais à court d’idées pour sauver une gare, une ligne de train, une trésorerie, une Poste ou une maternité.

En Corrèze, la commune d’Ayen a pris les devants en créant, dès 2015, une Maison de services au public (MSAP), faisant ainsi figure de pionnière. L’objectif : rassembler dans un même lieu le Pôle emploi, la Caisse d’allocations familiales, la Poste…  » Tous ces services ont déserté la commune, en pensant qu’un service numérique ou une ligne téléphonique suffirait, explique Jérôme Perdrix, 59 ans, aide-soignant en hôpital psychiatrique la nuit et adjoint au maire chargé du développement durable le jour. Mais ils se sont rendu compte qu’il fallait aussi de la proximité. La MSAP permet de remettre un peu d’humain dans la chaîne. « 

Lorsque le dernier café-restaurant met la clé sous la porte, que les commerces affichent tous  » bail à céder  » sur la vitrine, garder une capacité d’imagination n’est pas chose aisée. Les édiles des petites communes ont souvent l’impression de se battre contre des moulins à vent, et les luttes ressemblent parfois à des barouds d’honneur.

Sentiment d’être  » dépossédé « Les mobilisations contre les fermetures d’écoles rurales, dernier lieu du vivre-ensemble, avaient ce goût-là à l’hiver 2017. Manifestations, interpellations du rectorat, occupations des salles de classe… Malgré l’énergie des parents d’élèves appuyés par les élus, la classe unique de Poilly-sur-Serein (Yonne) a ainsi fermé ses portes. A Gréalou, dans le Lot, elle a obtenu un sursis d’un an grâce à une idée de la maire de proposer, sur Facebook, un logement gratuit à  toute famille avec enfants qui s’installerait dans sa commune. Les fermetures d’écoles sont un exemple parmi d’autres de décisions venues  » d’en haut « ,selon les élus, qui critiquent une méconnaissance de la ruralité. Il en va ainsi de la suppression de la taxe d’habitation ou de l’abaissement de la vitesse maximale autorisée de 90  km/h à 80  km/h sur le réseau secondaire. Des décisions perçues comme l’œuvre de technocrates parisiens ignorant les spécificités du terrain, qui ne manquent pas de faire réagir localement.

Exemple moins médiatisé mais tout aussi mal vécu : le transfert des compétences  » eau et assainissement  » aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération, qui doit être mis en place à compter du 1er  janvier 2020.  » On nous impose plein de choses, on subit des dictatures « , gronde Jean-Marc Lambert, le maire de Conflans-sur-Anille (Sarthe), qui devra fonctionner avec la commune voisine de Saint-Calais alors que, dans les faits, leurs installationsne sont pas connectées. Des préoccupations aussi exprimées par l’Association des maires ruraux de France, qui ont émis  » 10 propositions pour une intercommunalité choisie au service de la démocratie des territoires « .

Même sentiment d’être  » dépossédé  » à Faux-la-Montagne (Creuse), où l’on a vu les centres de décision s’éloigner avec le passage à la grande région Nouvelle-Aquitaine et la fusion de la petite communauté de sept communes dans une plus grande de vingt-six – fortement endettée, mettant en péril le dynamisme local. Loin de se résigner, les habitants et leur maire, Catherine Moulin, ont décidé de se réunir au sein d’assemblées villageoises pour réfléchir au  » bien commun «  qu’ils tiennent à défendre.

Certains gardent espoirLa majorité des élus trouvent le métier passionnant, et tous témoignent d’un attachement très fort à leur rôle et à leurs concitoyens. Mais, de plus en plus, le découragement pointe, dans un contexte difficile de baisse des financements de l’Etat. En témoigne le nombre considérable de maires qui ont rendu leur écharpe depuis les dernières élections municipales, comme le révélait une étude réalisée par l’Agence France-Presse en août (+ 55  % de démissions depuis 2014 par rapport à la mandature précédente).

Les raisons sont bien connues : soumis depuis des années à la baisse de la dotation globale de fonctionnement, noyés dans des intercommunalités qui augmentent considérablement les tâches administratives, requièrent une technicité qu’ils ne maîtrisent pas forcément, et provoquent en parallèle un sentiment de dépossession, de nombreux maires craquent. Les horaires souvent très étendus et les indemnités basses (sous 500 habitants, un maire touche 658  euros par mois), n’arrangent rien.

Et pourtant. En dépit des difficultés avec lesquelles il faut composer, certains gardent espoir. En particulier dans les villages où les jeunes, partis un temps, reviennent pour s’installer et créer leur activité, signe que la commune revit. Attachement à leur territoire, manière de demeurer actif, ou sentiment de responsabilité sont autant de raisons pour les élus de s’accrocher. Un choix qui, bien souvent, s’inscrit dans le prolongement d’autres engagements associatifs locaux.

Grégory Gendre en est l’exemple. Avant de devenir maire de Dolus-d’Oléron (Charente-Maritime), cet ancien cadre de Greenpeace avait fondé son entreprise de recyclage d’huile de friture sur l’île. Elu à la surprise générale à 36  ans, il ne cède rien à ses convictions. Connu pour son refus de signer le permis de construire permettant l’installation d’un McDonald’s sur sa commune, malgré la décision en ce sens du tribunal administratif de Poitiers, son discours détonne.  » Coconstruction, chantiers collectifs, économie circulaire « , sont les expressions favorites de celui qui a fait passer la part du bio dans les cantines scolaires de 17  % à 43  % depuis le début de son mandat.

Décrit comme  » clivant « , aux  » convictions acharnées « , il s’est frotté aux commentaires désagréables de certains de ses administrés partisans de l’enseigne de restauration rapide, en particulier sur les réseaux sociaux.  » Mais la sanction se passera dans les urnes « , répond avec défi celui dont la victoire, en  2014, avait été qualifiée de  » séisme «  par la presse locale, et qui prévoit déjà de se représenter. Rempiler, ou laisser à d’autres la charge de la commune ? La question se posera à chacun aux prochaines municipales, en  2020.

Camille Bordenet, Solène Cordier, et Solène Lhénoret

© Le Monde Edition datée du Mercredi 3 octobre 2018