« Les initiatives de démocratie participative sont trop cadenassées »

C’est l’un des nouveaux mots d’ordre des « Gilets jaunes » : l’instauration du « RIC », pour référendum d’initiative citoyenne ! Selon le chercheur Julien O’Miel, maître de conférence en sciences politiques à l’université de Lille et spécialiste de la démocratie participative, cette crise démocratique marque aussi et surtout le besoin d’instaurer plus de contre-pouvoirs au niveau local. Pourquoi ? La démocratie participative, telle qu’elle est actuellement organisée dans les territoires, ne répond pas à cette appétence des citoyens pour débattre sur des thèmes qu’ils ont eux-mêmes choisis.

Courrier des Maires : Les « Gilets jaunes » revendiquent l’instauration d’un RIC. N’existe-t-il pas déjà – au niveau local ou national – des mécanismes équivalents de participation des citoyens à la décision publique ?

Julien O’Miel : Dans le Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), il y a certes l’idée de référendum, mais il y a surtout l’idée d’initiative citoyenne ! L’initiative citoyenne, c’est la possibilité offerte à un groupe de citoyens – par un recueil de signatures ou sous une autre forme de mobilisation – de pouvoir activer un mécanisme de démocratie directe ou de démocratie participative. Et cela, on le retrouve assez peu, que ce soit au niveau local ou national.

Il y a bien le référendum municipal, qui est assez ancien et qui est très peu utilisé. Au niveau national, certains mécanismes se développent doucement, comme l’ordonnance Royal de 2016 qui permet d’ouvrir un débat sur un projet d’aménagement mais il faut 100 000 signatures avant que le préfet ne reprenne ensuite la main… Quant au référendum d’initiative partagée, il n’est pas d’initiative citoyenne mais d’initiative parlementaire avec ensuite un recueil de signatures. Donc la caractéristique majeure des différents dispositifs qui existent actuellement en France, c’est bien le fait que cela reste « cadenassé » par le pouvoir.

Qu’en est-il des débats organisés plus classiquement dans le cadre de la démocratie participative ? Cela ne semble pas vraiment marcher…

Si l’on regardeen arrière, on s’aperçoit que dans les années 60-70, ceux qui revendiquent une participation à l’action publique, ce sont bien des associations, des mouvements sociaux qui se mobilisent sur des problématiques d’aménagement urbain. Ça part bien du bas.

Dans les années 90, pourtant, ce sont les collectivités qui vont se mettre à faire de la démocratie participative et qui vont « monopoliser » les dispositifs et la rhétorique. Dès lors qui décide ce sur quoi on débat ? Qui décide des formes du débat ? Qui décide du public présent (même si parfois ils sont dépassés) ? Ce sont les élus locaux !
Et l’effet de ce monopole, c’est que l’on a perdu le sens de la démocratie participative… qui a du mal aujourd’hui à trouver son public ou, au contraire, qui accueille toujours le même public : de manière un peu caricaturale, les retraités blancs.

A la vue d’une telle homogénéité dans les conseils de quartiers, un certain nombre d’élus estiment qu’il n’existe pas de réelle demande sociale de participation de la part de leurs citoyens…

Quand on regarde les dispositifs de démocratie participative, on a tendance à répondre « non », mais lorsque l’on regarde ce qu’il se passe à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes ou avec les Gilets jaunes, on voit qu’il y a des gens qui se mobilisent pour dire « on ne veut pas de cet aménagement ou de cette politique publique » et, dans ces cas-là, c’est un public très diversifié. Donc, si les gens ne participent pas ou peu aux débats de démocratie participative, c’est parce qu’on ne leur propose pas de débattre sur des choses qui les intéressent. D’où l’intérêt des mécanismes d’initiative citoyenne.

Connaissez-vous un dispositif qui pourrait facilement être mis en place en France ?

Il y a un exemple assez intéressant en Toscane. À Florence, il existe une autorité indépendante qui dispose d’un budget pour soutenir les dispositifs locaux de participation. À sa tête, vous trouvez un chercheur en Science Politique, qui a la particularité de n’être élu que pour un mandat et qui reste donc extérieur aux jeux politiques locaux. Ceux qui peuvent requérir des subventions auprès de cette autorité sont les collectivités, les écoles mais aussi les citoyens, dès lors qu’ils recueillent, pour la ville de Florence par exemple, 2200 signatures.

A titre d’illustration, la communauté musulmane de Florence s’est emparée de ce dispositif pour ouvrir un débat sur la question de la construction d’une nouvelle mosquée dans la ville, un sujet brûlant en Italie. L’autorité a accepté de soutenir ce projet de débat et a même alloué 70 000 euros, soit le double du budget traditionnel. Et tout le monde – notamment les élus – était en panique à l’idée que ces débats puissent avoir lieu. À la première réunion, il y avait des cars de police avec des jets d’eau, car l’extrême-droite avait agité le chiffon rouge. Mais cela s’est très bien passé, les débats étaient intéressants, et la communauté musulmane de Florence est parvenue à discuter avec le public et s’est même dotée de plusieurs « porte-parole » capables d’expliquer ce qu’est l’Islam. Cette initiative citoyenne a permis une forme d’ »empowerment » qui est vraiment intéressante, en redonnant du pouvoir d’agir aux habitants.

En France, un des arguments les plus souvent avancés par les élus pour refuser des débats d’initiative citoyenne, est le fait que l’extrême-droite s’en emparerait. C’est sans doute ce qu’il se passerait, oui, mais débattons-en justement ! S’il y a bien une crise de la démocratie participative, il y a aussi en France une crise du débat. On ne peut pas aller que sur des thèmes définis et cadrés.

A vous entendre, plus globalement, la question n’est-elle pas celle du manque de contre-pouvoirs au niveau local ?

Oui et je reformulerai même cette question : est-ce forcément aux élus de décider de la forme que prend la démocratie au local ? Pour l’instant c’est le cas, puisque ce sont eux qui modèlent les conseils citoyens et les conseils de quartier, la loi restant assez vague sur la question des modalités. Pourquoi tirer au sort dans les listes électorales et non dans les listes des bailleurs sociaux ?

Et vous avez d’ailleurs une autre question, derrière, qui est celle du financement des associations trop lié à la politique locale. Ce système « docilise » le monde associatif. En 2014, le rapport Bacqué-Mechmache proposait justement de créer un fonds d’interpellation citoyenne géré par une fondation pour soutenir les associations, et ce afin qu’elles puissent assumer ce rôle de contre-pouvoir au local.

Finalement aujourd’hui, ce sont les seuls élus qui ont le monopole de la description et de la traduction des problèmes des citoyens. Cela pose de nombreux problèmes. Alors, le gouvernement et les collectivités sont-ils prêts à proposer aux gens l’initiative de dire quels sont leurs problèmes ?

Un débat sur le RIC entre citoyens et parlementaires

La plateforme « Parlement et Citoyens » a décidé de s’autosaisir de la question du Référendum d’Initiative Citoyenne et d’ouvrir un espace numérique de débat « neutre » pour faire dialoguer les citoyens et les parlementaires sur cet enjeu de société. Le débat sera ouvert le vendredi 21 décembre.

Courrier des maires