Michel Lorblanchet : Nos grottes préhistoriques du Lot sont en danger

Michel Lorblanchet, spécialiste de l’art préhistorique, tire la sonnette d’alarme, quant à l’extrême vulnérabilité du milieu souterrain du Lot, notamment au regard du patrimoine préhistorique, comptant une centaine de grottes de valeur inestimable.

Peinture pariétale de bison, à la grotte de Foissac
Peinture pariétale de bison, à la grotte de Foissac (©A. du Fayet)

Plus d’une centaine de grottes préhistoriques ont été actuellement recensées sur les causses de Gramat et de Martel. Ce sont des grottes préhistoriques très diverses.

Une centaine de grottes préhistoriques d’une très grande diversité

Ce sont d’abord une cinquantaine de grottes habitats ou de grottes sépulcrales contenant des habitats et/ou des sépultures de diverses époques de la préhistoire.

Par exemple, la grotte de Pradayrol près de Caniac contient des traces de présence humaines datant d’environ 900 000 ans et qui est un des plus anciens sites préhistoriques de France ; la grotte et abri du Mas Viel près de Flaujac qui appartient au Moustérien datant de plus de 50 0000 ans, ou encore la grotte du Cuzoul de Gramat qui a livré à R. Lacam la sépulture de « l’Homme de Gramat », le type humain caractéristique de l’époque mésolithique datant d’environ 8000 ans.

En me fondant sur ma seule mais longue expérience personnelle de préhistorien, je peux citer aussi encore à titre d’exemple, la grotte sépulcrale de Linars en face de Rocamadour qui possédait une quarantaine de sépultures de la fin de l’âge du bronze, que nous avons étudiées avec mes amis Louis Genot et Lucien Hugonie ; la grotte contenait des tombes associées à des vases et parfois à quelques ornements en bronze ; J’avais espéré en faire un musée souterrain… mais ce fut irréalisable pour diverses raisons.

Je peux citer aussi la grotte de la Fée près de Thémines où mes fouilles ont révélé des foyers de la transition entre Âge du Bronze et Âge du fer montrant l’alimentation des habitants du causse il y a 3000 ans. J’ai fouillé aussi une grotte dominant la vallée du Célé qui était une sorte d’entrepôt de nourriture du Bronze final : les préhistoriques avaient su utiliser cette petite cavité emplie de gaz carbonique (gaz qui favorise la conservation de la viande) pour conserver leurs quartiers de venaison, des gigots de cerf placés dans de grandes jarres emplies de cendre… Je peux citer aussi cette vaste caverne des environs d’Assier et de Reyrevignes où j’avais observé un village souterrain de l’époque gallo-romaine avec de multiples fonds de cabanes et des sépultures dans les cabanes. C’était un site extraordinaire que j’ai signalé, comme toutes mes découvertes et mes fouilles aux services régionaux de l’Archéologie.

Mais ces services de l’État n’ont pas toujours le personnel nécessaire pour effectuer des fouilles et pour préserver cette variété de sites archéologiques souterrains.

S’ajoutent ensuite à cet ensemble, une cinquantaine « d’avens-pièges », des cavités en forme de puits qui contiennent des ossements d’animaux préhistoriques d’espèces disparues qui permettent aux paléontologues de reconstituer l’évolution du milieu naturel de notre région depuis des millions d’années… Ces animaux sont tombés dans ces puits qui sont des pièges naturels ou bien leurs ossements y ont été entraînés par les ruissellements. La rivière souterraine de Padirac, par exemple, contient tout au long de son parcours plusieurs de ces sites paléontologiques qui ont été étudiés notamment par Michel Philippe du musée de Lyon. De nombreux autres avens-pièges sont en cours d’étude par Jean Christophe Castel du Musée de Genève.

Le Lot compte une trentaine de grottes ornées, peintes ou gravées datant du paléolithique

Il y a une trentaine de grottes ornées peintes ou gravées d’époque paléolithique datant entre 30 000 et 10 000 ans avant le présent.

Contrairement aux précédentes, ces grottes ornées sont toutes classées Monument historiques. Trois seulement sont ouvertes au public ; Pech-Merle, Les Merveilles (Rocamadour) et exceptionnellement les Fieux près de Miers… les grottes ornées de Cougnac et de Frayssinet-le-Gélat sont situées sur des terrains tertiaires à la limite du Périgord, hors du causse de Gramat.

Pollution par les effluents d’élevages…

La grotte de Foissac, se trouve sur les limites orientales des causses du Quercy, au-dessus de la vallée du Lot, entre Figeac et Villefranche-de-Rouergue, en Aveyron. Son cas est exemplaire : elle nous montre comment toutes les grottes peuvent être polluées.

Cette grotte est un Monument Historique ouvert au public ; elle est à la fois une grotte sépulcrale et une grotte ornée : elle contient une cinquantaine de sépultures datant de 5000 ans, associées à des vases en poteries, divers outils, et de nombreuses empreintes de pas préhistoriques de même époque que les sépultures. Elle possède aussi des peintures pariétales paléolithiques de bisons et de capridés datant des environs de 25 000 à 28 000 ans.

Cette grotte est une rivière souterraine, nommée la Jonquière ; les sépultures chalcolithiques ont été déposées sur les berges de cette rivière.

En tant que préhistorien je suis intervenu plusieurs fois à Foissac. Au début de ma carrière en 1965-1967 juste après la découverte de la grotte par Alain du Fayet et ses amis et avant l’aménagement pour les visites, J’avais procédé à un état des lieux à la demande du directeur régional des Antiquités Préhistoriques. Plus tard j’ai apporté mon témoignage au commissaire enquêteur étudiant les risques de pollution par les effluents et il y a une douzaine d’années je suis revenu dans la grotte pour y étudier les peintures pariétales.

Or actuellement la grotte de Foissac qui reçoit 15 000 visiteurs par an est gravement polluée par les effluents d’élevages industriels qui se trouvent sur le plateau. Des ruissellements noirâtres noircissent certaines concrétions et attaquent la calcite et surtout des odeurs pestilentielles envahissent par moments les galeries si bien que les visites doivent s’interrompre ! Les visites ont été interrompues plusieurs fois durant l’été dernier comme M. Du Fayet, le propriétaire de la cavité, me l’a indiqué en me montrant les témoignages écrits des visiteurs.

Ces odeurs proviennent de la rivière souterraine qui charrie les effluents d’élevage ! Par intermittence la rivière polluée inonde et recouvre les sépultures placées sur sa berge !

Une simple question est posée : Qui accepterait qu’un cimetière d’un de nos villages soit inondé régulièrement par des eaux chargées de purin ?

Les sépultures chalcolithiques de Foissac sont-elles moins importantes que les cochons ou les canards des élevages industriels ? Quelle est la « valeur » exacte de notre patrimoine ?

MICHEL LORBLANCHET

Ex-directeur de recherches au CNRS

L’extrême vulnérabilité de nos grottes et du milieu souterrain dans son ensemble
La diversité et la répartition de nos grottes préhistoriques sur l’ensemble de notre région calcaire révèlent l’existence d’un immense patrimoine archéologique en constant accroissement par suite des découvertes des spéléologues ; ce patrimoine risque d’être pollué par la succession des épandages de lisiers, puis maintenant de digestats à la surface de nos causses, des épandages changeants et eux-mêmes évolutifs d’une année sur l’autre.
Le cas de Foissac est exemplaire. Il démontre l’extrême vulnérabilité de nos grottes préhistoriques et du milieu souterrain dans son ensemble.
Le classement des grottes ornées au titre des « Monuments Historiques » n’assure pas véritablement leurs protections, comme le montre le cas de Foissac, car selon la loi ce sont surtout les monuments visibles construits à la surface du sol, les châteaux notamment, qui bénéficient d’un périmètre de protection. Mais qu’en est-il des monuments historiques invisibles car souterrains ?
Nous avons d’autres cas de grottes ornées menacées : je me souviens par exemple, de certains bisons noirs de la grotte de Niaux partiellement effacés dans les années 1980 par des ruissellements soudains consécutifs à un simple déboisement au sommet de la montagne au-dessus de la grotte…
Les malheureuses peintures de la grotte de Lascaux qui ont tant souffert de pollutions internes diverses sont également menacées par des écoulements non pas verticaux, mais latéraux, qui atteignent les parois peintes à la faveur d’un niveau de marne horizontal, au sein du calcaire ! C’est pourquoi tout le sommet de la colline de Lascaux a été aujourd’hui sanctuarisé et le fac-similé « Lascaux IV » a été installé dans la plaine.
Comment résoudre ces graves problèmes, comment concilier développement transition écologique et protection de l’ensemble de notre patrimoine, qui bien sûr n’est pas exclusivement souterrain ! [Michel Lorblanchet]