René Dosière :«la décentralisation n’a pas vraiment fait progresser la démocratie locale»
René Dosière livre son dernier combat avant de raccrocher les gants et quitter définitivement l’Assemblée nationale au mois de juin. La réforme de moralisation de la vie publique promise par Emmanuel Macron et François Bayrou devrait s’inspirer de ses propositions. Le mois dernier, il accordait un long entretien au Courrier des maires où il était bien sûr question de transparence, mais aussi de décentralisation et d’impôts locaux, autres sujets qui lui tiennent particulièrement à cœur.
Après vingt-cinq ans de vie parlementaire quasi continue où il aura fait preuve d’une opiniâtreté sans faille sur la moralisation de la vie publique, René Dosière, député (PS) de l’Aisne, a remis son propre plan au nouveau ministre de la Justice, François Bayrou, vendredi 19 mai. Douze propositions détaillées y figurent, allant d’une réforme du financement des partis politiques à la limitation du cumul des mandats dans le temps en passant par la suppression des emplois familiaux dans les cabinets d’élus des collectivités.
On aurait tort, toutefois, de résumer ce personnage haut en couleur à ce seul combat en faveur de plus de transparence. Dans une interview sans langue de bois accordée début avril au Courrier des maires, René Dosière se livre une dernière fois. Au menu : responsabilité des partis républicains dans le climat politique actuel, populisme, démocratie locale, réforme territoriale, décentralisation, fiscalité locale, etc.
Comment interprétez-vous la montée de l’abstention et des votes extrémistes ?
René Dosière : La majorité des Français est désemparée, totalement déboussolée par le fonctionnement des partis républicains et le comportement de leurs élus. De plus en plus d’entre eux s’interrogent sur le sens à donner à élire des représentants, dès lors qu’autant de politiques pris dans la tourmente des « affaires » donnent l’impression de se servir avant de servir le peuple.
Tenir ce discours de vérité ne fait pas le lit du populisme, contrairement à ce dont m’accusent certains. D’ailleurs, je n’ai jamais dénoncé des comportements individuels – qu’il s’agisse d’élus ou de collectivités –, seulement des dérives du système que je pensais nécessaire de corriger ! Plutôt que maintenir une forme d’opacité entretenant tous les fantasmes, colmatons ces brèches au plus vite pour renforcer la démocratie.
A ce propos, comment jugez-vous le quinquennat qui s’achève ?
Qu’il s’agisse de la prévention et de la lutte contre les conflits d’intérêts ou du contrôle du patrimoine des élus, le bilan du quinquennat sur la moralisation de la vie publique me semble positif. Cela ne veut, bien sûr, pas dire que tout a été parfait. D’autant plus que les Français mettront quelques années avant de prendre conscience des avancées dues à la création de l’Agence anticorruption et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Reste que les premiers effets sont déjà visibles : le rapport à l’argent des élus évolue dans le bon sens. De plus en plus de mes confrères ne sont ainsi plus opposés à l’idée d’abaisser le plafonnement des rémunérations en cas de cumul.
Ne faudrait-il pas plutôt réinterroger la rémunération de certains élus à la hausse pour ne pas les soumettre à la tentation corruptrice ?
Pour certains oui, tout à fait. Trouvez-vous normal qu’un maire d’une commune de 10 000 ou 15 000 habitants, gérant un budget de dizaines de millions d’euros et des centaines de salariés, perçoive la même indemnité qu’un conseiller régional dont la seule obligation est d’assister à deux ou trois réunions par mois ? Paradoxalement, certains avantages en nature d’élus locaux disposant, par exemple, d’une voiture avec chauffeur ou ayant table ouverte au restaurant du coin… nourrissent l’antiparlementarisme !
Plus que leur rémunération, la véritable question à se poser aujourd’hui réside, d’après moi, dans la globalité des moyens matériels – indemnités, cabinets, groupes politiques, frais de mandats, notes de frais et autres avantages matériels annexes – mis à disposition des élus pour réaliser un travail politique de qualité. Faute d’évaluation, il est compliqué de déterminer ce qui manque ou pourrait être raboté.
Selon vous, quelles seront les conséquences du non-cumul ?
Le cumul des mandats poussait à une professionnalisation accrue. D’où la longévité de certains élus se maintenant dans l’une de leurs fonctions, y compris lorsqu’ils perdaient une élection. La limitation permettra un renouvellement plus fréquent du personnel politique. Peut-être qu’elle changera aussi le climat politique et incitera les députés, maires et patrons d’autres collectivités à dialoguer davantage, maintenant qu’ils ne seront plus rivaux.
Autre bienfait escompté : les députés et sénateurs trouveront plus de temps à consacrer à l’évaluation des pouvoirs et de l’action publics. Idem pour les élus locaux, qui pourront s’impliquer encore plus dans la gestion du personnel de leur collectivité, par exemple, et ne pas se contenter des seules tâches de représentation et de communication.
Etes-vous favorable à la réduction du nombre de parlementaires ?
Bien sûr, à condition que cela ne se fasse pas dans l’optique d’un plan d’économies mais bien d’un renforcement des pouvoirs du Parlement. Assurer un meilleur contrôle de l’utilisation de l’argent public confortera aussi les institutions de la Ve République. Si l’Assemblée nationale ou le Sénat ne sont pas aussi indépendants qu’espéré, cela ne tient pas à la Constitution, mais aux individus et à l’absence de moyens, de volonté.
Le rocardien que vous êtes estime-t-il nécessaire de repenser la décentralisation de A à Z ?
La France n’a pas véritablement tenu compte de l’esprit des lois de décentralisation de 1982. Loin d’avoir fait progresser la démocratie locale, ce mouvement a conforté un certain nombre de féodalités. La décentralisation à la française a en effet calqué le fonctionnement de toutes les collectivités territoriales sur l’hyper-présidentialisme des exécutifs municipaux, alors qu’elle aurait dû favoriser la collégialité.
Les fonctions exécutives et délibératives sont encore trop souvent confondues. Le poids de l’opposition est trop souvent réduit à sa plus simple expression. Il reste encore beaucoup à faire pour que les citoyens soient réellement associés à la conduite des affaires municipales ou régionales. Puisque la presse locale ne joue pas véritablement son rôle de contre-pouvoir, ne faudrait-il pas renforcer, aussi, les pouvoirs et les moyens de contrôle des Chambres régionales des comptes ?
Comment appréciez-vous, justement, la dernière vague de décentralisation opérée par François Hollande ?
Je parlerai de réforme territoriale plus que de décentralisation… Je n’étais pas opposé à changer le cadre des régions, mais cela aurait dû s’accompagner d’un changement de paradigme : nous aurions dû en faire de vrais partenaires de l’Etat, avec un copilotage effectif, tant sur la formation professionnelle que sur l’emploi. Le nombre d’élus régionaux aurait dû être réduit, leurs moyens et leurs pouvoirs renforcés. Or, sur tous ces chantiers, nous sommes restés au milieu du gué.
L’Etat s’est contenté de transférer des compétences entre collectivités et de déléguer les services qu’il n’avait plus les moyens de financer, à l’image des trains Intercités. Comme l’entretien des lycées par le passé…
Ne faut-il pas alors préserver l’autonomie fiscale des collectivités pour qu’elles aient effectivement les moyens d’assurer leurs nouveaux rôles plutôt que de supprimer la taxe d’habitation pour 80% des Français, comme le veut Emmanuel Macron ?
Si la fiscalité locale était juste, j’aurais été le premier à m’opposer à ce que l’Etat remplace ces leviers par des dotations. Les inquiétudes de certains élus prédisant la baisse progressive des enveloppes censées compenser l’exonération de la taxe d’habitation sont probablement fondées…
Mais je persiste à penser que la suppression de la taxe d’habitation est un mal pour un bien ! A défaut d’être parvenu à réformer cette taxe au Parlement, notamment à cause du lobbying des députés-maires, il n’y a plus d’autres choix aujourd’hui. Calculée sur des bases locatives périmées, la taxe d’habitation est l’impôt le plus injuste qui soit, puisqu’il est dégressif : plus vous gagnez, moins vous payez au prorata de vos revenus…
Le consentement aux impôts locaux reste pourtant plus important qu’aux impôts nationaux…
Les Français ont bien conscience de l’injustice de la fiscalité locale, mais beaucoup passent dessus grâce à l’effet de proximité. Et pour cause : les habitants profitent concrètement des services publics que les taxes locales permettent de faire fonctionner – qu’il s’agisse d’une bibliothèque, d’une piscine ou d’un centre aéré.
Mais cette relative acceptation s’explique également, me semble-t-il, par la grosse résistance d’hommes politiques et de leaders d’opinion, qu’ils fassent partie des conservateurs affichés (de droite) ou des conservateurs cachés (au sein des socialistes). Les 10% des Français les mieux payés – des cadres supérieurs et hauts-fonctionnaires disposant d’une force d’inertie immense – ont su mobiliser en faveur de leur cause les députés-maires craintifs dès lors qu’on parle de réforme de la fiscalité locale.
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