J., la soixantaine, président d’une société de foies gras du Lot, a comparu devant le tribunal correctionnel de Cahors

Jeudi 8 décembre 2022, J., la soixantaine, président d’une société de foies gras du Lot, a comparu devant le tribunal correctionnel de Cahors, où il se voit reprocher une kyrielle d’infractions. Le président Philippe Clarissou énumère pêle-mêle les incriminations : abus de biens sociaux ou de crédit d’une société à des fins personnelles, blanchiment d’argent, faux en écriture, usage de faux en écriture, contrefaçon ou falsification de chèque, usage de chèques contrefaits…

580 000 € de préjudice, selon les enquêteurs

Comment ce capitaine d’industrie, à la tête de la plus importante unité de production de foie gras et autres spécialités culinaires du Lot, peut-il se retrouver dans ces beaux draps ? J. et ses deux filles détiennent à eux trois 100 % du capital de cette entreprise familiale dont la fondation remonte à 1920. Le montant avancé des préjudices causés à la société mère et ses filiales est estimé par les enquêteurs à plus de 580 000 €. Le prévenu conteste ces sommes. Les faits incriminés courent sur la période 2016 à 2019.

Ce sont les services fiscaux qui ont levé le lièvre, estimant que les comptes présentés par la société, n’étaient pas sincères. S’en est donc suivie l’ouverture d’une enquête approfondie pour l’ensemble des sociétés dirigées par J. Le 8 octobre 2019, fonctionnaires des services fiscaux et des douanes, assistés par les militaires de la gendarmerie, ont procédé aux investigations sur site, saisissant documents et supports informatiques, d’importantes sommes en numéraire, pièces d’or (Napoléon) et devises étrangères (dollars et livre-sterling)… Sont visités plusieurs coffres, dont un au Crédit Agricole. Dans le cadre de l’enquête menée en flagrance, 156 000 € sont saisis ! Une procédure de blanchiment pour fraude est ouverte.

« J’ai tout fait pour régulariser ! »

Le président Clarissou demande au prévenu de s’expliquer sur les griefs retenus à son encontre. Il relève que le domicile privé de J. a fait l’objet d’importants travaux dont un Pole house avec piscine, payés par la société. Les artisans présentaient de fausses factures, qui étaient réglées par la société. J. fait valoir qu’il a remboursé 138 000 € à ce sujet, aux fins de régulariser la situation. Des sommes concernant des loyers fictifs étaient aussi indûment versées par la société à J. Les enquêteurs ont relevé un emploi fictif au sein de l’entreprise, avec la compagne de J., qui s’est vu verser 59 000 €, alors qu’elle n’avait ni bureau, ni adresse mail, au sein de la société. J. rétorque que sa compagne travaillait au moins trois mois à temps plein, en fin d’année, pour confectionner les coffrets de commandes et qu’elle avait une activité d’animation des boutiques et de suivi de la concurrence, mais aucun salarié n’a pu l’attester… Il est reproché à J. d’avoir attribué à chacune de ses deux filles 500 € par mois, en leur qualité de directrice générale et directrice adjointe, en tant que mandataires sociales. Or, il s’avère qu’elles ne mettaient pas les pieds dans l’entreprise, incapables de donner le nombre de salariés. J. conteste cette incrimination car à ses yeux, ses deux filles se préparaient à endosser des responsabilités dans la marche de l’entreprise.

– « Il y a ces chèques où vous avez modifié le libellé, vous ne contestez pas ! » interroge le président.

– « Non ! » répond J., plutôt gêné.

– « Et que dites-vous de votre assistante de direction, dont la plus importante partie du travail, de l’ordre de 60 %, consistait à gérer vos affaires personnelles ? » demande le président. Le prévenu soutien que l’essentiel de son travail concernait la société. M. Clarissou cite également des factures de gaz et des achats d’électroménager pour 4000 € à des fins personnelles, payées par la société. « Oui j’ai commis un certain nombre d’erreurs ! » reconnaît J., rappelant qu’il a tout fait pour régulariser.Vidéos : en ce moment sur Actu

« Chaque fois que vous avez pu gratter quelque chose… »Observation du président du tribunal

– « Et qu’est-ce que c’est que ces ventes de veines de foie gras, à une société espagnole ? » s’enquiert M. Clarissou.

– « Il s’agit de sous-produits que nous n’utilisons pas en France, mais qui intéressent d’autres sociétés à l’étranger, pour faire des pâtés notamment… » explique J. Le président observe qu’une partie des bénéfices de ces ventes à l’étranger, était déposée sur un compte de J. ouvert en Espagne.

À présent, il est question d’une société chinoise de « sourcing » chargée de rechercher des partenaires commerciaux. J. s’arrangeait pour récupérer la partie surfacturée via un virement sur le compte de sa compagne.

Le président s’intéresse aussi au poste d’achat des truffes, « le marché au noir par excellence » s’amuse-t-il. De l’argent liquide était sorti pour procéder aux achats (lesquels s’opèrent effectivement en monnaie sonnante et trébuchante), mais au retour du marché, J. aurait oublié de remettre tout ou partie de l’argent restant, dans les comptes de la société. Ceci porterait sur 25 000 €.

Et maintenant, il y a ce matériel obsolète, que J. sortait de l’entreprise pour le stocker chez lui et qu’il revendait à l’occasion. 16 000 € ont été pointés à ce niveau par les enquêteurs.

Enfin, ce sont quelques voyages qui sont épinglés, au Canada, à Rome, en Écosse, en Australie… dont il apparaît qu’ils étaient facturés pour partie, aux frais de la princesse. Mais là aussi, J. se défend d’avoir profité de la situation. Il indique que ces sorties avaient toujours un caractère commercial dans l’intérêt de la société : « Je profitais de ces sorties pour rencontrer des clients ou nouer des contacts avec des partenaires ! »

Dernier volet : d’importantes sommes d’argent découvertes dans les coffres-forts. Commentaire du prévenu :

– « Ah oui, mais une partie vient de mon père ! »

– « Ce qui veut dire qu’elles ont échappé aux déclarations lors de la succession, ce qui ferait une infraction de plus ! » renchérit le président, avant de lâcher ce commentaire :

– « Chaque fois qu’il y a une possibilité de gratter quelque chose, vous y mettez la main ! M. J., vous n’étiez pas dans le besoin tout de même, quel est votre salaire ? »

– « 200 000 € par an de revenus, plus 50 000 € de revenus fonciers ! » répond le prévenu plutôt embarrassé, précisant toutefois que le montant de ses impôts s’élève à 80 000 €. Dans le cadre de l’enquête ont été immobilisés deux contrats d’assurance vie pour plus de 400 000 € et deux comptes épargne pour plus de 150 000 €.

– « Il y a encore le salaire de la femme de ménage, que vous faisiez payer par la société, même si ça ne va pas chercher bien loin… 4000 € ! Par mois ? » interroge le président.

– « Non M. le président, c’était 4000 € par an ! » précise J.

Après l’examen des faits, le président vérifie le casier judiciaire et relève une condamnation, pour tromperie sur la marchandise, remontant à 2007. Pas plus !

J. se décrit comme un homme investi à 100 % dans les affaires avec pour seul loisir le rugby et quelques matchs qu’il va voir ici ou là.

Le Parquet demande la confirmation des sommes saisies

Patrick Serra, Substitut du Procureur, retient qu’une partie des infractions ont été reconnues par le prévenu, notamment les fausses factures qui ont permis de financer les travaux à son domicile, les loyers fictifs, la rémunération de ses deux filles dans la mesure où il n’y avait aucune contrepartie de leur part. Le magistrat reprend point par point l’ensemble des éléments de la prévention, prenant en compte les régularisations et laissant profiter le doute pour plusieurs éléments où l’intention frauduleuse n’a pu être prouvée. Il ajoute : « Nous avons besoin d’entrepreneurs, mais des entrepreneurs honnêtes ! Il y a de bons côtés dans ce que vous avez fait, mais d’autres moins… Or, vous avez trompé l’ensemble de la société en minorant vos revenus, c’est-à-dire en diminuant le montant de vos impôts, lesquels sont destinés au bien commun. Vous avez fonctionné en vous disant : là où je peux récupérer, je récupère !  Vous avez organisé la fraude ; elle était instituée… Le Parquet espère que ce passage devant le tribunal, vous aura fait toucher du doigt qu’avec toute cette affaire, vous auriez pu perdre tout une vie de travail ! Vous avez volé ce qui a été saisi, on ne rend pas ce qui a été volé. Je requiers 6 mois de prison avec sursis à titre principal et la confiscation des sommes saisies au titre de la peine complémentaire. » Le magistrat ne précise pas le montant des sommes saisies.

Seulement un dossier de fraude fiscale ?

Me Jean Iglésis, du barreau de Toulouse, regarde son client un peu abasourdi, puis il se tourne vers le tribunal. Avec ce tempérament de force tranquille qui le caractérise, loin des effets de manche et des éclats de voix, Me Iglésis va tenter de renverser la vapeur et de prouver qu’il s’agit seulement d’un dossier de fraude fiscale, rien de plus ! « Quelqu’un qui s’est volé lui-même et qui s’est sanctionné ! » s’exclame l’avocat. Il rappelle que son client est titulaire à 100 % du capital social de la société. « Il est venu la corde au cou, il a reconnu ses fautes, il a déjà remboursé les produits infractionnels ! » Dans un premier temps, l’avocat tente la nullité de la procédure, en s’appuyant sur les irrégularités qui l’ont entachée à ses yeux. Cela ferait-il tomber le dossier tel qu’il l’espère, comme un château de cartes ? Puis, il reprend son intervention en évoquant la personnalité de son client : un capitaine d’industrie, à la réussite exceptionnelle. « Mais il n’a pas su se départir d’une logique de petit boutiquier, alors qu’il aurait pu faire de l’optimisation fiscale et gagner tout autant ! » Me Iglésis se lance une heure durant à démonter l’accusation sur les différents points épluchés par le président. L’avocat conteste pied à pied les argumentations du Parquet, cherche la faille juridique, s’engouffre dedans, comptant bien faire tomber la qualification délictuelle. « Arrivé à 7 h, reparti à 22 h, J. mettait toute son énergie au service de sa société », martèle l’avocat en énumérant l’ampleur des tâches accomplies. Il qualifie « d’imbécillités » les fautes commises. Il demande au tribunal de ne pas considérer que le fait de retrouver de l’argent dans un coffre-fort devait être retenu comme du blanchiment. 2 284 000 € de redressement fiscal, il ne s’agit que d’un dossier de fraude fiscale et il estime que la note est suffisamment lourde. Tout au plus, Me Iglésis admet du bout des lèvres, que le préjudice infractionnel pourrait porter sur 54 000 €. « Au terme de trois années de procédure, J. voit toutes ses économies partir vers le fisc, tout cela « parce qu’il a été maladroit » termine-t-il. Il demande au tribunal de faire preuve de clémence et de réduire le montant des confiscations demandées. J. revient à la barre et assure, mais un peu tard, « qu’on ne l’y reprendra plus ! »

Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 9 février 2023.

Article a retrouver dans La Vie Quercynoise de jeudi 15 décembre 2022 Par Jean-Claude Bonnemère