La Chambre régionale des comptes relève les « dysfonctionnements » de l’ex-région Midi-Pyrénées
Alors que l’affaire AWF, du nom de cette société toulousaine détenue par des proches de l’ex-ministre PS Kader Arif, est toujours à l’instruction au parquet national financier (PNF) à Paris notamment pour soupçon de favoritisme exercé par la région Midi-Pyrénées, la Chambre régionale des Comptes a produit un rapport, qui ne porte uniquement que sur ce point mais sur la gestion financière de l’ex-région. Un rapport dans lequel elle aborde la commande publique, notamment en matière de communication. Elle y ausculte les relations entre l’ex-région et AWF et y relève des « dysfonctionnements« . Nous avons lu ce rapport. Voici ce qu’il dit.
Des contrats inadaptés
D’abord, la chambre régionale des comptes rappelle que c’est « en raison de l’importance des sommes anormalement mandatées sur le budget restauration au bénéfice de la société AWF Music puis de la société AWF qui lui a succédé », qu’elle a examiné les marchés conclus entre ces sociétés et la région Midi-Pyrénées. « Les marchés passés illustrent également les conséquences que peut avoir une estimation déficiente des besoins dans le domaine de l’évènementiel » écrit la Chambre.
Des montants importants
On apprend dans ce rapport que les 4 marchés passés par la Région avec la SARL AWF Music entre décembre 2008 et 2013 ont porté sur un montant de 2,237 millions d’euros. Un autre contrat conclu en 2014, après appel d’offres, avec AWF porte lui sur 2,8 millions d’euros. Enfin, souligne la Chambre régionale des comptes, 45 marchés « à procédure adaptée ou hors formalisation » ont été passés avec les sociétés AWF Music puis AWF entre 2009 et 2014 pour « un total de 367 912,64 euros imputés sur le budget annexe restauration ou sur le budget principal ».
La sous-estimation des besoins
La chambre revient sur dans le détail sur les différents marchés passés et relève des dysfontionnements notamment dans l’estimation des besoins de la collectivité. Ainsi en 2009, le montant maximum prévu sur un lot de mise en place de matériel de décoration et d’éclairage attribué en 2008 à AWF Music est atteint dès le 27 avril après seulement 4 mois d’exploitation.
Une critique qui porte aussi sur la relance nécessaire du marche en 2009.
Pour la Chambre régionale des comptes, « cette sous-évaluation est de nature à avoir eu des impacts sur le jeu de la concurrence, dès lors que des opérateurs économiques qui n’ont pas postulé pour un marché évalué à 340 000 euros TTC auraient pu être susceptibles de candidater pour des enjeux financiers nettement plus significatifs (de 5 à 6 fois supérieurs)« .
La région représente 72 % du chiffre d’affaires d’AWF en 2009
La Chambre régionale des comptes s’étonne aussi que cette même année, la Région Midi-Pyrénées représente 72 % du chiffre d’affaires de AWF Music, soir 279 491,64 euros. La chambre dénonce donc une « dépendance » du fournisseur à son client, non-mesurable à l’époque, la société ne déposant plus ses comptes au greffe du tribunal de commerce ! Légalement, une société ne déposant pas ses comptes est pénalement sanctionnable.
Le marché de la vidéo et du web en 2011
De même, la chambre régionale des comptes s’étonne que AWF Music ait remporté en 2011 un appel d’offres portant sur un marché « de la vidéo et du web » (reportages d’actualité et interviews pour un lot, magazines vidéo pour un autre) alors qu’il s’agit d’un domaine « dans lequel la société AWF music ne semble pas spécialisée ».
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La commission d’appel d’offres perdue dans les sociétés
Quant au marché de 2014 pour « l’agencement, la location de matériel de scénographie », la Chambre régionale épingle la Commission d’appel d’offres (CAO) de la Région qui n’a pas vu immédiatement, et à deux reprises, que les deux sociétés qui ont postulé, AWF et All Access, n’étaient pas celles qui travaillaient habituellement avec la Région, à savoir AWF Music, alors en liquidation judiciaire, et All Access Interactive. Ces sociétés avaient toutes, plus ou moins, les mêmes dirigeants.
Une augmentation significative des montants
Pour la Chambre régionale des comptes, ces marchés « se caractérisent par une augmentation très importante des moyens qui leur sont consacrés, évoluant de 80 000 euros HT en 2008 à 2,3 millions d’euros HT en 2014 ». Selon la chambre « un autre montage que celui pratiqué depuis des années, sans succès en termes de concurrence, puisqu’in fine il n’y avait plus que la société AWF comme candidat, aurait mérité d’être envisagé ».
Cette critique n’est pas nouvelle dans ce dossier. Dès la révélation de l’affaire, les conseillers régionaux d’opposition avaient indiqué que les autres sociétés ne candidataient pas sachant par avance le résultat. Des soupçons de favoritisme que la Chambre régionale des comptes se garde bien d’émettre, ce n’est pas son rôle !
« Une vigilance insuffisante »
« Si les dysfonctionnements constatés peuvent paraître porter sur des montants de dépenses relativement peu importants au regard des politiques publiques mises en oeuvre par la région, conclut la Chambre régionale des comptes, ils révèlent néanmoins une organisation déficiente de la commande publique. Ils révèlent aussi une vigilance insuffisante dans un domaine, la communication, qui doit pourtant être au centre des préoccupations des gestionnaires publics« .
La réponse cinglante de Martin Malvy
L’ex-président PS de la région Midi-Pyrénées Martin Malvy, a répondu le 17 février dernier à la Chambre régionale des comptes. Une longue réponse, détaillée et offensive, que nous avons pu consulter.
« Je conteste, écrit-il notamment, que la Région puisse avoir faussé le jeu de la concurrence en sous-évaluant le montant indicatif de ce marché (NDLR : celui de 2009 avec AWF Music). D’une part ce marché a été passé en appel d’offres ouvert, soit la mise en concurrence la plus exigeante ; d’autre part, cela n’a pas découragé le plus gros opérateur de la place, entreprise de taille internationale, de candidater ».
« Au final, explique-t-il, à force de se focaliser sur ce marché auquel la Chambre consacre onze pages sans les annexes, le rapport a, semble-t-il, manqué de recul (…). Je rappelle donc ci-après les éléments chiffrés que j’avais déjà communiquès à la chambre :
- les factures payées à AWF Music représentent en moyenne sur le marché 2009/2013 0,3 % des marchés de la Région (680 000 euros / 224 600 000 euros)
- elles ne représentent que 0,05 % du budget régional (680 000 euros / 1 225 000 000 euros) ».
La nouvelle région engagée avec AWF jusqu’en 2018
La nouvelle présidente de la région Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées, Carole Delga, a répondu à la Chambre régionale des comptes le 22 février… qu’elle laissait le soin à Martin Malvy de répondre, ce dossier concernant l’ex-région Midi-Pyrénées.
Pour autant, interpellée vendredi 15 avril lors de l’assemblée plénière par la conseillère régionale LR Elisabeth Pouchelon, la nouvelle présidente a indiqué que la région était liée par contrat avec AWF jusqu’en 2018.
Trois personnes ont été entendues en garde à vue mercredi 20 dans l’enquête sur des soupçons de favoritisme qui avaient contraint à la démission le secrétaire d’Etat aux Anciens combattants Kader Arif, a appris l’AFP jeudi de sources concordantes.
Placé en garde à vue avec deux autres personnes, dont un frère de Kader Arif, Philippe Joachim, aujourd’hui directeur de la communication du ministère de l’environnement, a été relâché sans être déféré, a indiqué une source judiciaire.
Il n’est donc pas mis en examen dans le cadre de cette instruction menée par des juges du pôle financier et ouverte par le parquet national financier (PNF). Les trois personnes ont été entendues à l’Office anti-corruption de la police judiciaire (Oclciff), ont précisé les sources.
Selon les informations de France 3 Midi-Pyrénées, les deux autres personnes qui ont été placées en garde à vue sont Ali Arif, frère de l’ancien ministre Kader Arif et agent du service communication au Conseil régional, ainsi que le chef de ce service.
Les soupçons portent notamment sur des marchés entre l’ancienne région Midi-Pyrénées, où Kader Arif a son implantation locale, et des sociétés appartenant à des membres de son entourage.
Philippe Joachim avait été directeur de cabinet du président socialiste de la région, Martin Malvy, de 2004 à 2014, puis directeur de la communication de la collectivité, avant d’être nommé en septembre 2015 au cabinet de Ségolène Royal. Il n’a pu être joint jeudi par l’AFP.
L’enquête était partie d’un signalement en septembre 2014 d’élus d’opposition UMP du conseil régional faisant état « d’anomalies » dans les relations contractuelles entre la région et deux sociétés successives, AWF Musique puis AWF, appartenant notamment à un frère et à des neveux de Kader Arif, un fidèle de François Hollande. Plusieurs contrats étaient visés entre 2009 et 2014, pour plusieurs millions d’euros.
AWF Musique avait aussi travaillé pour François Hollande durant la primaire socialiste en 2011 puis lors de la présidentielle de 2012 avant que leur collaboration ne cesse en pleine campagne.
Après avoir évoqué « des affaires qui ne le concernent absolument pas », Kader Arif avait dû démissionner en novembre 2014 après des perquisitions dans les locaux de la sous-direction des achats du ministère de la Défense. En tant que secrétaire d’État aux Anciens combattants, Kader Arif était placé sous l’autorité du ministre de la Défense. Il est redevenu député PS.