Les sénateurs entament l’examen du texte sur le statut de l’élu

Après la mort du maire de Signes dans le Var, le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie publique entend apporter une protection accrue aux élus.

Ce fut un choc au milieu de l’été : le 5 août, le maire de Signes, dans le Var, Jean-Mathieu Michel, était tué dans l’exercice de ses fonctions, renversé par une camionnette après être intervenu pour s’opposer à un dépôt illicite de gravats. Cet événement jetait une lumière crue sur les agressions verbales ou physiques auxquelles sont exposés les élus locaux. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a une expression, dont il use fréquemment, pour décrire les difficultés quotidiennes mais aussi ce travail de proximité qui caractérisent la fonction : « Les maires sont à portée d’engueulade. »

C’est au Sénat, précisément, qu’arrive en première lecture, mardi 8 octobre, le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie publique et à la proximité de l’action locale, plus communément appelé « Engagement et proximité ». Le texte avait été présenté le 17 juillet en conseil des ministres, avant la mort du maire de Signes, mais il a dès lors pris une dimension particulière. Ainsi, par une lettre rectificative d’Edouard Philippe adressée le 11 septembre à la présidence du Sénat, un chapitre préliminaire a été rajouté au projet de loi initial visant à renforcer les pouvoirs dont disposent les maires pour faire constater des infractions et éventuellement appliquer des sanctions pénales ou civiles.

Le Sénat, de son côté, n’a pas été en reste. Pendant un mois, il a mis en ligne un questionnaire à destination des maires leur permettant de rapporter les menaces ou agressions auxquelles ils avaient pu être confrontés. Il a recueilli 3 812 réponses. Ainsi, 3 135 répondants (82 %) font état d’incivilités (impolitesse, agressivité), 1 775 (46 %) d’injures ou d’outrages, 1 926 (48 %) de menaces verbales ou écrites, 543 (14 %) d’agressions physiques ou verbales, 308 (8 %) disant n’avoir été exposés à aucun de ces faits.

Débat nourri

Même s’il est probable que ce soient majoritairement des maires ayant subi l’un ou l’autre de ces comportements qui aient répondu au questionnaire, les chiffres donnent une idée de l’ampleur du phénomène. Ce constat est accompagné d’un autre : dans seulement 37 % des cas, les maires victimes d’agressions verbales ou physiques ont porté plainte. Plus la commune est petite, moins le maire a tendance à porter plainte parce que, souvent, il connaît son agresseur et sa famille et hésite donc à engager une procédure judiciaire.

Pour ceux ayant déposé une plainte, dans quatre cas sur dix il n’y a eu aucune suite pénale. Seules 21 % des plaintes déposées ont abouti à la condamnation pénale des fautifs. La protection juridique des maires n’a été engagée que dans un tiers des cas. A la suite de ce questionnaire, le Sénat a présenté un « plan d’action pour une plus grande sécurité des maires », dont une partie des propositions a été intégrée au texte par la commission des lois sous forme d’amendements.

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La démarche montre bien que le Sénat entend prendre toute sa part dans l’aboutissement d’un texte dont il se prévaut d’être l’« inspirateur ». La commission des lois a ainsi adopté pas moins de 136 amendements avant que le projet de loi vienne en discussion en séance. Autant dire que le débat risque d’être nourri, au risque de s’éterniser. Le gouvernement, pour sa part, souhaitant que le projet de loi soit définitivement adopté avant la fin de l’année, a engagé la procédure accélérée.

En effet, si le chapitre sécurité des maires a pris une dimension particulière, ce n’est pas le seul objet de ce texte, premier volet du « nouveau pacte territorial » annoncé le 25 avril par Emmanuel Macron à l’issue du grand débat national. Il s’agit de conforter les maires dans l’exercice de leur mission, de favoriser l’engagement des quelque 600 000 élus locaux alors que nombre d’entre eux font état d’un sentiment de dépossession, et de corriger les défauts de la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), adoptée en 2015 qui, en forçant la création d’intercommunalités étendues, dites « XXL », a privé les maires, notamment les maires de petites communes, d’une partie de leurs attributions. Le gouvernement entend par ce texte remédier à ce qu’il appelle les « irritants de la loi NOTRe ».

Craintes d’un « détricotage »

« Nous voulons remettre la commune au centre de l’intercommunalité », défend le ministre chargé des collectivités territoriales, Sébastien Lecornu, qui portera ce texte au banc du gouvernement. D’où l’importance qu’il soit adopté avant les élections municipales. La sénatrice (Union centriste) d’Ille-et-Vilaine Françoise Gatel, une des deux rapporteurs du projet de loi au Palais du Luxembourg, assure que le Sénat n’a pas l’intention de faire de l’obstruction. « Il est important que nous ayons corrigé ces irritants avant les municipales. Nous n’irons évidemment pas contre un objectif de sortie du texte avant ces élections », affirme -t-elle.

Si l’objectif de redonner à la commune une place centrale fait consensus, son interprétation peut toutefois diverger, au point d’alimenter les craintes d’un « détricotage » de l’intercommunalité. « L’intercommunalité, c’est une nécessité, mais il faut admettre que, dans certains cas, elle est venue s’imposer aux communes. Ce doit être un espace de subsidiarité, et non une autorité de tutelle », plaide Mme Gatel. La commission des lois a adopté plusieurs amendements visant à « assouplir » la répartition des compétences entre communes et « intercos » et ouvrant la voie à des transferts « à la carte » de compétences communales vers l’intercommunalité.

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Ce qui éveille les craintes de certaines associations qui mettent en garde, à l’image de l’Assemblée des communautés de France (AdCF), contre « une régression de l’intercommunalité ». A l’approche du débat parlementaire, l’AdCF redoute que celui-ci « ne soit marqué par la multiplication d’amendements de circonstance, motivés par des situations politiques locales ». « A vouloir légiférer à l’excès, et ouvrir la voie à des décisions unilatérales de certaines communes, les contentieux et les blocages risquent de se multiplier », estime l’association. De son côté, l’organisation France urbaine se dit attentive à ce que « les ajustements apportés à la loi NOTRe n’affectent pas les grandes agglomérations, communautés urbaines et métropoles, ni dans leurs périmètres ni dans leurs compétences ». L’« équilibre » auquel prétend le gouvernement pourrait s’apparenter à un délicat équilibrisme.