Participation « Ne craignez pas d’aborder les enjeux de fond qui préoccupent nos concitoyens »

Comment faire face au désenchantement démocratique qui s’exprime élections après élections ? Pour les cofondateurs de ce cabinet de conseil, la mise en discussion des enjeux politiques locaux les plus structurants permettrait d’intéresser de nouveau les habitants à la vie de leurs cités.

Prestataire de certaines collectivités soucieuses d’entendre ce que leurs administrés ont à dire, l’agence « Grand Public » a fini par développer un discours critique… contre la démocratie participative. Que reprochez-vous, concrètement, aux dispositifs de participation citoyenne ? 

Fréderic Gilli : « La démocratie participative aurait dû, en théorie, favoriser l’expression des citoyens ordinaires dans l’espace public. Sauf que la plupart des dispositifs ont rapidement été captés par les acteurs asso­ciatifs et les retraités – un public de « spécialistes » déjà bien en cour auprès des fonc­tionnaires et des élus. Ce sont eux qui monopolisent aujourd’hui la parole dans les instances de concertation. La démocra­tie participative n’a pas réussi à redonner la parole aux groupes sociaux qu’on entend le moins dans l’espace pu­blic local. »

Les élus le reconnaissent d’eux-mêmes et regrettent souvent de systématiquement faire face aux mêmes profils sociaux, les « TLM » pour « toujours les mêmes »… Que peuvent-ils bien y faire si l’ensemble de la population ne s’intéresse pas à la vie publique locale ? 

Fréderic Gilli : « Il serait temps de respecter un certain nombre de prérequis pour s’assurer que les processus partici­patifs complètent effectivement les échanges issus de la démocratie re­présentative. Les collectivités devraient contraindre leurs prestataires à aller chercher un maximum d’habitants et s’assurer, d’un point de vue qualitatif, de l’origine sociale des participants mais aussi de leur implication éventuelle dans des associations et réseaux existants, bref de la représentativité des différents groupes sociaux. »

Laurent Sablic : « A qui je m’adresse ? Comment ? Où et à quelle heure ? Les élus doivent se poser les mêmes questions qu’un commerçant ne voyant pas les clients affluer dans sa boutique… Il n’existe pas de mauvais citoyens pas plus qu’il n’existe de mauvais clients. C’est au politique d’améliorer son offre si elle ne séduit pas, d’organiser les réunions dans un supermarché ou un restaurant en soirée plutôt qu’en mairie ou au CCAS sur les horaires d’ouverture des services…

Autre préalable à respecter me semble-t-il : laisser aux habitants le pouvoir de nommer leurs problèmes et décider des controverses à verser au débat. Ainsi, l’intitulé des débats ne devraient pas être déterminé par le commanditaire dudit débat, qui est déjà le seul en temps normal à influer sur l’agenda politique et paramètre en outre un certain nombre de choix stratégiques dans ces événements participatifs.

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Justement, de nombreux maires, adjoints et industriels de la participation annoncent en ce début de mandat vouloir aller plus loin en matière de démocratie participative… 

Laurent Sablic : « Beaucoup d’élus envisagent de « doubler » leurs budgets participatifs en allouant aux « habitants » non plus 2% mais 3% de l’enveloppe dédiée aux investissements, oui… Je ne dis pas que c’est inutile, c’est un effort qui va dans le bon sens, mais ça reste une faible somme que se partage – dans les faits – seulement une infime partie des citoyens. Surtout, cela n’incite pas les populations à prendre en main le destin de leurs villes dans toute leur globalité.

Des professionnels proposent aussi de déployer de nouvelles solutions, par exemple des répliques de Conventions citoyennes locales. Logique, c’est leur métier après tout, mais dans bien des cas, la frontière avec le marketing démocratique se révèle assez mince ! On l’a vu avec les Civic Techs puis plus récemment le Grand débat national. Plutôt qu’approfondir des dispositifs que les citoyens fuient, les responsables politiques et leurs boîtes de comm’ devraient s’atteler à faire vivre le débat d’idées sur les perspectives de développement et l’avenir de nos villes. La démocratie participative ne s’arrête pas à un simple enjeu méthodologique dans la mise en place d’ateliers citoyens, à l’organisation de cercles de paroles avec des powerpoints sophistiqués et des gommettes. Cessons-en une bonne fois pour toutes avec cette vision restrictive de la démocratie ! »

Comment les maires peuvent-ils attirer de nouveau les classes populaires à leurs ateliers participatifs ? 

Fréderic Gilli  : « En recréant des espaces de conflits démocratiques où les différents groupes sociaux pourraient s’exprimer librement et confronter leurs points de vues. Le mélange de communication et de technocratie participative qu’on a aujourd’hui ne permet pas d’assurer cette condition de base de la démocratie… La conflictualité a été évincée de l’espace public local, à force d’appels d’offres se concentrant sur les techniques d’animation et de participation plus qu’au fond du message ; en l’absence aussi de processus d’évaluation. Les rapports de forces entre porteurs d’intérêts divers et variés se révèlent pourtant indispensables pour alimenter les responsables politiques, et nourrir les processus de prise de décisions.

Laurent Sablic : «Les citoyens ne décideront pas de leurs venues selon l’outil et la technique de participation choisie par les organisateurs, ou bien encore l’amélioration, par exemple, de la qualité d’image des films de l’agence Grand Public… Ils veulent juste débattre des enjeux de fond que sont le logement, les mobilités, l’emploi, la santé ou la sécurité, tous ces thèmes qui préoccupent la majorité des gens. Les maires ne devraient donc pas tant réfléchir au renouvellement méthodologique censé permettre de toucher un nouveau public, qu’à la nature des enjeux à discuter ensemble pour développer l’intérêt des citoyens à la vie publique locale d’une part, et aider les collectivités d’autre part à répondre le plus efficacement possible aux problèmes de toute une partie de la population. Ecoutez les habitants s’exprimer sur le fonctionnement ou les dysfonctionnements des politiques et services publics, déconstruisez l’expertise de l’administration puis intégrez leurs points de vue afin d’enrichir la réponse publique. Les maires ne doivent pas craindre de créer du débat politique. Ils ne parviendront pas, de toute façon, à améliorer la vie quotidienne de leurs concitoyens sans en faire de véritables parties prenantes.

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De l’emploi à la santé en passant par les mobilités, nombre de préoccupations se réfléchissent désormais à l’échelle du bassin de vie. Les communautés de communes, d’agglomération et autres métropoles devraient-elles s’ouvrir davantage au débat démocratique ? 

Laurent Sablic : « Toutes les échelles institutionnelles sont bonnes du moment que les conditions d’un débat politique sincère sont réunies, c’est-à-dire que l’ensemble des sujets de préoccupation peuvent être abordés et que les habitants ont l’impression qu’y participer sera bien utile. Je suis prêt à parier que des élus à la tête d’obscures intercommunalités ou syndicats mixtes, moins bien identifiés que les maires par la population à priori, n’auraient aucun mal à intéresser les gens dès lors qu’ils sont prêts à partager un peu de leurs pouvoirs avec les différents collectifs citoyens du territoire, dans une logique d’empowerment. Donnons aux habitants des prises sur les problématiques auxquelles ils sont confrontées au quotidien, et alors je suis certain que nous trouverons tous ensemble des solutions. Réinterroger le projet global du territoire et revisiter l’ordre des priorités avec les habitants redonnerait, qui plus est, un peu de sens à la noble mais difficile fonction d’élu. »

Fréderic Gilli  :  « La démocratie participative doit vraiment permettre aux élus de s’interroger sur le fond de l’action publique qu’ils mènent, voire même de réinterroger le projet de territoire comme le dit mon collègue. On ne peut plus continuer à consulter la population simplement sur les modalités de mise en œuvre opérationnelle de tel aménagement ou telle autre décision technique découlant d’un projet global qui n’aurait, lui, pas reçu l’adhésion de la population au préalable… Elle est là l’urgence, si on veut essayer de résoudre le malaise démocratique actuel : il faut faire remonter en généralité le débat, le politiser jusqu’à faire naître une controverse locale qui soit productive d’intérêt général. C’est ainsi que nous sortirons de l’apathie actuelle et parviendrons à réinsuffler un nouvel élan démocratique. Mais pour cela, il faut accepter de se dire franchement les choses sur tous les sujets – sécurité, logement, santé  ou alimentation.