à Cahors, 2800 personnes étaient mobilisées selon la police contre un peu plus de 3000 selon les syndicats.

La prochaine action sera le jeudi 16 février.

Comment se déroule le comptage des manifestants et pourquoi est-il si controversé ?

Les manifestations contre la réforme des retraites se succèdent et les comptages dans les cortèges permettent de prendre le pouls de la mobilisation, avec des écarts parfois importants en fonction des sources. Quelles méthodes utilisent la police, les syndicats et le cabinet Occurrence ? Avec quelles limites ?

À chaque manifestation, le même constat : organisateurs et police livrent des comptages de manifestants très différents, dont l’écart peut parfois atteindre 1 pour 10. Ce mardi, la nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites n’a pas échappé à cette règle. Le ministère de l’Intérieur a dénombré 1,272 million de manifestants, contre plus du double pour la CGT.

Quel est le protocole employé par le syndicat ? « Nous n’avons pas pour habitude de communiquer sur nos méthodes de comptage », nous a répondu un porte-parole. Dans les faits, selon les syndicats, les villes et les sections locales, plusieurs techniques peuvent être utilisées, par comptage manuel en plusieurs points du cortège, à l’aide d’un « clic », en calculant par ligne de dix, par des estimations basées sur la surface couverte par la manifestation sur une place ou dans les rues. On fait confiance à l’expérience des personnes chargées du comptage pour proposer une évaluation cohérente. Les syndicats comptabilisent aussi le nombre de trains et de cars réservés pour jauger celui des manifestants.Le direct

Une commission d’experts valide la méthode de la police

La méthode de la police, manuelle également, n’est pas si différente qu’on pourrait le penser, et les échanges entre des agents du Renseignement territorial et les syndicats ne sont pas rares en bord de cortège, notamment en régions. Le protocole de l’Intérieur demeure, en revanche, assez bien connu, puisque passé au peigne fin par une commission d’experts en 2014 : une prévision est d’abord réalisée, afin de mettre en place le dispositif de comptage adéquat. Suit « un comptage en temps réel dont les résultats font l’objet d’une validation deux jours plus tard grâce à un visionnage en différé. Le comptage en temps réel s’appuie en général sur deux points d’observation de la manifestation, pris en charge par des équipes indépendantes (…). Les points sont situés en hauteur et non au ras du sol, ce qui permet d’obtenir a priori une vue suffisamment large du cortège et de tenir compte, en particulier, des personnes marchant sur les trottoirs », expliquait Pierre Muller, statisticien à l’Insee et membre de la commission, en 2015. Un redressement, de l’ordre de 10 %, est ensuite effectué par le Directeur du renseignement, afin de tenir compte de l’incertitude. La commission, à laquelle n’avait pas répondu la CGT, avait qualifié la méthode de la police d’« indépendante, sérieuse et consciencieuse », rapportaient Les Échos en 2015.

Pas suffisant pour Thomas Legrand, éditorialiste politique à France Inter, et d’autres journalistes qui réclamaient, en 2017, un chiffre « qui ne soit pas politique ». Un troisième acteur, le cabinet d’études Occurrence, est alors entré dans la danse. Payé par 80 médias à partir de 2018, il se base sur une méthode de détection semi-automatique : une caméra captant un flux vidéo est associée à un algorithme de traitement de l’image, afin de dénombrer les personnes franchissant une ligne virtuelle au sol. Problème, l’algorithme digère mal les foules très denses et perd le fil en cas de fumigènes allumés ou de ballons masquant les manifestants. « Depuis 2018, on a un peu sophistiqué la méthode, et on réalise de plus en plus de micro-recomptages manuels pour corriger la marge d’erreur de notre système : jusqu’à 10 à 12 de 30 secondes. On fournit ensuite aux médias une pièce jointe, où on présente un chiffre calculé toutes les huit secondes et corrigé de ces petites erreurs », indique au Télégramme Assaël Adary, président d‘Occurrence. Il n’est pas rare que le redressement atteigne un pourcentage de 30 % « en cas de très forte densité de manifestants ».

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Des critiques contre le cabinet Occurrence

La méthodologie d’Occurrence n’est pas exempte de critiques. Parmi les plus virulentes, celles de Bruno Andreotti, professeur de physique à l’Université Paris VII, invité en mai 2018 à observer un comptage du cabinet. Dans un rapport publié à la mi-décembre 2019 sur Twitter, il évoquait des problèmes de mesure, de redressement trop important, et de non prise en compte des manifestants échappant à la caméra. Encore aujourd’hui, Assaël Adary garde un mauvais souvenir de l’expérience : « Bruno Andreotti est venu nous voir 20 minutes. C’est un scientifique qu’on peut définir, gentiment, comme engagé… On lui a dit : on ne calcule pas sur un échantillon dont on tire une extrapolation ensuite. On est vraiment sur une méthode exhaustive».

La CGT, qui a également assisté à une séance de comptage en 2018, dit avoir constaté « quelques zones d’ombre » : « Quid des milliers de personnes qui bordent la manifestation tout au long du parcours sans jamais traverser le mécanisme de comptage ? ». Ce à quoi répond Assaël Adary : « On prétend mesurer une manifestation qui déambule, avec un cortège qui suit un chemin. Et on a déjà placé plusieurs points de comptage sur une même manifestation, la différence était très faible entre les deux : moins de 5 % ». Sûr de sa méthode, le cabinet Occurrence dit « arrondir son comptage à la centaine supérieure et assumer ce niveau de précision ».

Une fourchette plutôt qu’un seul chiffre

Il ne convainc pas Denis Bartolo, professeur de physique à l’ENS de Lyon, qui considère que « toutes les méthodes utilisées restent rudimentaires. Le jour où on aura vraiment envie de compter les manifestants, on peut se donner les moyens de le faire : par une vue aérienne par exemple, mais ça coûte cher et nécessite des autorisations ». Selon lui, la présentation d’un chiffre, « sans donner l’incertitude qu’on a à son regard, c’est donner une information nulle. Si vous me dites, je pense qu’il y a eu entre 50 000 et 70 000 individus, ça peut avoir du sens. Mais si vous m’indiquez qu’ils étaient 57 762, je peux vous garantir que ça n’en a aucun », assure le physicien. Il estime par ailleurs que réaliser des comparaisons entre des manifestations ayant eu lieu au même endroit, dans le passé, ne serait pertinent que « si on était sûr que la méthode de comptage était la même ».

Le Télégramme