L’extraordinaire parcours de Mengistu Haïlu, un migrant devenu directeur de centre social

« La France est devenue mon pays, qui m’a accueilli et où trois de mes quatre enfants sont nés », déclare Mengistu Haïlu.

Dans quel contexte, avez-vous été amené à quitter l’Éthiopie, votre pays d’origine ?

Mengistu Haïlu : J’ai quitté l’Éthiopie, le pays où je suis né, en 1982. J’avais 20 ans et j’étais étudiant à ce moment-là. Je faisais partie des opposants au régime du dictateur Mengistu Haile Mariam. J’ai alors connu la prison, la torture, avec plus aucune autre solution, que de m’évader, pour sauver ma peau. Il n’y avait aucune tolérance pour les opposants politiques. Et si un opposant était tué, les parents devaient payer les balles de celui qui avait tiré, c’est dire le degré de cruauté dont était capable ce régime. Nombre de mes connaissances ont été assassinées, simplement pour avoir été des opposants au pouvoir en place.

Par quel moyen avez-vous fui ?

À pied ; c’était notre seule possibilité. Nous étions un petit groupe de copains et nous avons parcouru 350 kilomètres, à travers le désert, pour rejoindre Djibouti. Mais tous n’ont pas réussi ; plusieurs ont perdu la vie en chemin. Le désert n’était pas une sécurité, avec plein de nomades armés, qui pratiquaient le racket. Difficile de s’en sortir, pour ceux qui n’avaient pas de sous ! Pour ma part, le fait de pratiquer plusieurs langues, dont le Somalien, m’a beaucoup servi.

À votre arrivée à Djibouti, comment les choses se sont-elles passées ?

Dès notre arrivée, nous avons demandé l’asile politique, qui nous a été tout de suite accordé. La vie n’a pas été facile pour autant, à commencer par la chaleur accablante, avec plus de 40° à l’ombre et nous n’avions qu’une tente pour nous abriter. Là, c’est une autre vie qui a commencé pour nous.

Combien de temps êtes-vous resté à Djibouti et que faisiez-vous ?

Sept ans, j’ai vécu à Djibouti ! Durant cette période, j’ai pu bénéficier de formations mises en place par les Nations Unies, à l’attention des réfugiés politiques et économiques. C’est à ce moment-là que je me suis formé à la mécanique. J’ai suivi des formations durant deux années et j’ai passé un concours pour devenir enseignant. Ensuite, à mon tour, j’ai enseigné auprès de réfugiés. C’est aussi à cette époque, que j’ai rencontré celle qui est devenue mon épouse ; elle aussi était enseignante.

Et ensuite, c’est votre arrivée en France ?

Non ! Cela aurait été trop simple, si cela s’était passé aussi facilement ! Il se trouve qu’entre les gouvernements Djiboutien et Éthiopien, un accord a été signé, pour que nous soyons rapatriés de force en Éthiopie. Nous voilà à nouveau plongés dans l’angoisse. Finalement, nous trouvons asile au sein d’une église catholique de Djibouti. Ce sont des Français qui nous ont accueillis dans leur paroisse ; ils nous ont protégés pour que nous ne soyons pas déportés. Grâce à eux, je peux dire que nous avons été sauvés. Sinon, le retour à la case de départ, après nous être évadés,… on pouvait s’attendre au pire.

Et que s’est-il passé pour vous et votre épouse ?

À ce moment-là, l’école au sein de laquelle j’enseignais a été fermée. Et tous ceux qui avaient été formés ont dû quitter le pays pour des destinations diverses : Australie, Arabie Saoudite, Amérique, Yémen… Pour notre part, nous sommes restés auprès des prêtres, qui nous ont aidés à rejoindre la France, en tant que « touristes ». En effet, nous sommes arrivés à Cahors avec un titre de voyage, le 30 octobre 1989.

C’est par hasard que vous êtes arrivés à Cahors ?

Non pas du tout ! C’est parce que l’abbé Gardes, aujourd’hui décédé, était à ce moment-là professeur au lycée Notre-Dame (aujourd’hui Saint-Étienne) de Cahors. Il avait une nièce à Djibouti, la marraine de notre premier enfant. C’est elle, qui en voyant les difficultés dans lesquelles nous nous débattions, a sollicité son oncle du Lot, pour qu’il prenne en charge notre accueil. C’est l’abbé Gardes qui s’est occupé des visas, qui est venu nous chercher et qui nous a payé le voyage. Et c’est comme cela que nous nous sommes retrouvés à Cahors. Dans un premier temps, nous avons vécu dans une petite maison, appartenant à l’évêché de Cahors.

Enfin, vous vous sentiez tranquilles ?

Nous n’étions pas encore arrivés au bout de nos peines. Les choses ont traîné avant que notre situation soit régularisée. En arrivant en France, j’ai demandé une protection au titre de l’asile politique. Mais cela m’a été refusé à deux reprises. À ma troisième demande, j’ai été convoqué à Paris. J’ai dû expliquer pourquoi je ne voulais pas retourner en Éthiopie, alors qu’il était dit officiellement que je bénéficiais d’une protection, mais ce n’était pas vrai. Finalement, j’ai obtenu le statut de réfugié politique. Enfin, il ne nous restait plus qu’à nous insérer socialement et professionnellement !

Cela a été facile, côté insertion, à Cahors ?

Oui, même si l’apprentissage du Français a été difficile. Nous avons bénéficié de l’accompagnement des paroissiens en particulier. J’ai suivi un stage pour apprendre la langue, en même temps que je pratiquais la mécanique automobile. Et, de fil en aiguille, j’ai atterri au Centre social de Terre Rouge, dont je suis directeur aujourd’hui et où j’ai fait mes débuts en tant que bénévole, car je tenais absolument à travailler, pour ne pas perdre la main. Ensuite, j’ai été qualifié comme moniteur d’atelier, puis éducateur technique spécialisé. Depuis une dizaine d’années je suis reconduit en tant que directeur de ce centre social associatif.

C’est à Cahors que la famille s’est agrandie également ?

Oui, trois de nos quatre enfants sont nés à Cahors ; l’aîné exerce son métier dans les assurances, le second est titulaire d’un BTS en management et travaille également ; quant aux deux dernières, l’une est au lycée et l’autre au collège. Mon épouse pour sa part travaille au Centre Gényer, spécialisé dans l’insertion des jeunes personnes handicapées.

À présent, comment vous situez-vous, entre le pays natal et votre pays d’adoption ?

Je me sens Français et fier de l’être ; la France est devenue mon pays, car c’est le pays de mes enfants. Pour autant, comment pourrait-on oublier le pays où l’on est né, surtout, lorsqu’on y a passé toute sa jeunesse ? Et, c’est bien là, que m’ont été transmises les valeurs qui sont les miennes, de travail et de respect de l’autre. Et j’insisterai sur mon engagement qui consiste à « aider l’autre », pour qu’il puisse s’en sortir, quoiqu’il arrive. D’où ma vie professionnelle au sein du CTSC, depuis 28 ans et l’attention que je porte à tous ceux qui frappent à notre porte ; des personnes de tous âges, de toutes nationalités, de toutes conditions… des personnes qui n’ont pas d’identité professionnelle ou qui l’ont perdue. À ce niveau, c’est un travail sur l’humain que nous faisons, pour aider la personne à retrouver confiance en elle-même. À côté du travail de réparation des véhicules, il y a donc cette approche de l’individu en tant que tel. C’est à ce niveau, que se joue l’insertion d’une personne, qu’elle soit migrante ou non, dans notre société.

JEAN-CLAUDE BONNEMÈRE

* CTSC : Centre Technico Social Cadurcien (tél. 05 65 30 11 99)