Groupe Cahors (Maec), une épopée industrielle et humaine, au bord du gouffre

Groupe Cahors a fêté ses 100 ans en 2010 ; une fabuleuse aventure technologique et humaine, aujourd’hui en prise à des difficultés qui assombrissent l’avenir…

Bertrand Ballesta, instigateur du livre « Nos hommes ou la traversée d’un siècle », fait partie de l’équipe qui a mené à bien un travail de mémoire consacré aux 100 ans de Groupe Cahors (Maec). Avec nous, il revient sur l’épopée de ce fleuron de l’industrie cadurcienne, marqué au fil des décennies par une formidable histoire humaine. Son admiration bondit d’un chapitre à l’autre au gré de toutes les prouesses accomplies. Jusqu’à ce que, le livre à peine refermé, ses yeux se mouillent face au constat de ce qui se passe depuis plusieurs mois ; fuite des compétences, licenciements à tour de bras, dilapidation du patrimoine… comme si le diable était entré dans la maison !

Actu : Comment vous êtes-vous retrouvé associé aux célébrations du centenaire de Groupe Cahors ?

Bertrand Ballesta : En 2009, j’étais en vacances en Vendée et me vint l’idée d’un livre, pour marquer le centenaire de notre entreprise. Je me suis mis alors à griffonner une trame. J’en parle à Michel Hibon, le PDG, et Marc Beauvais le directeur général. Tous deux sont enthousiastes pour ce projet et ainsi se met en place un travail de fond avec les services de communication et sa responsable Sylvie Gez. Pour ma part, je consulte un certain nombre de documents en dépôt aux Archives départementales du Lot, j’épluche les comptes rendus des conseils d’administration et à partir de tout cela nous retraçons l’historique de l’entreprise, de 1910 à 2010, avec un fort appui d’images. Le point de départ se situe à Paris, avant que le siège ne s’installe à Cahors, avec ce développement incessant qui prend le nom de Groupe Cahors. Bien sûr, plusieurs chapitres sont consacrés à la construction du groupe industriel et à son élargissement au niveau international.

Comment avez-vous mené à bien ce travail ?

B. B. : Au fur et à mesure de l’avancée du projet, c’est tout un travail collectif qui s’est mis en place. Nous avons même fait appel à un photographe professionnel, Jean Belondrade, qui a fourni un ensemble de clichés remarquables, en effectuant les déplacements au sein de l’ensemble des filiales de Groupe Cahors. Superbes touches d’exotisme qui donnent au lecteur la sensation de voyager à la fois dans la technologie et aux couleurs du monde.

Qu’est-ce qui vous a marqué d’emblée en travaillant sur l’historique de l’entreprise ?

B. B. : C’est de voir comment Groupe Cahors s’est construit à travers des hommes, intensément présents dans la vie de l’entreprise. Dire qu’aujourd’hui, c’est un homme qui détruit ce même patrimoine. Je rappelle l’intitulé de cet ouvrage d’entreprise : « Nos hommes ou la traversée d’un siècle », exprimant l’importance accordée aux valeurs humaines. Celles-ci ont véritablement caractérisé le développement de ce groupe industriel.

Avez-vous rencontré d’anciens salariés ?

B. B. : À côté du travail d’histoire et de recherche, il y a eu le temps des rencontres. Au nombre des personnes avec qui j’ai pu échanger, je citerai Pauline Bélio, décédée à 103 ans, fin 2020. Elle faisait partie du personnel de l’entreprise, en 1932. Elle était intarissable dans les souvenirs de sa vie au quotidien au sein de l’entreprise. Je me suis également entretenu avec Pierre Bourrières, un des piliers de la Maec et Groupe Cahors. Il m’a raconté toute son évolution au sein de l’entreprise. J’ai retranscrit son témoignage à travers lequel on se rend compte à quel point l’entreprise faisait partie de son ADN. Je peux citer également Alain Rapart, qui a fait son entrée au bureau d’études en 1967 et qui était concerné au premier chef par l’innovation des produits. Encore une fois, je me suis arrêté sur tous ces hommes et toutes ces femmes qui font partie de cette immense épopée de 100 ans. Cet ouvrage avait pour objectif de témoigner de la formidable aventure humaine, à la base de ce fleuron de l’industrie lotoise.

Quelle a été la force de ce groupe industriel ?

B. B. : La force de ce groupe tient, depuis sa création, en sa capacité d’innovation et au fait de ne pas se focaliser sur une simple activité, mais d’être multi-activités. C’est tout ce qui a fait la différence sur les marchés ; être en mesure de proposer aux clients une solution globale. Groupe Cahors s’est également illustré dans l’innovation des matériaux. Dans les années 70, il a été l’un des tout premiers groupes industriels à utiliser les matériaux composites, qui ont servi à la confection des coffrets électriques. C’est le point de départ du SMC (polyester et fibres de verre) ; un savoir-faire qui s’est développé à partir de l’introduction de ce matériau composite dans l’industrie.
Groupe Cahors a su historiquement s’adapter à l’évolution des marchés en innovant en permanence, jusqu’aux bornes de recharge des véhicules électriques.
La société ne s’est pas contentée de rester cantonnée dans la redistribution d’électricité, elle s’est spécialisée dans le transport de tous les fluides.

Quelles grandes phases du développement de l’entreprise retenez-vous ?

B. B. : En 1910, au début de l’électrification, l’entreprise portait le nom de « L’éclairage général ». Elle était installée à l’emplacement de l’actuel hôtel étoilé, au pied du Pont Valentré. Le nom de Maec est apparu en 1954, au moment de son implantation sur le site de Regourd. Les premières décennies ont été consacrées à la fabrication du petit appareillage électrique, en bakélite, destiné essentiellement à l’habitat. Puis l’entreprise a progressivement élargi son champ de fabrication aux domaines de la distribution et au comptage de l’électricité, avec en figure de proue les coffrets de compteurs électriques. Ce fut en même temps le passage de la mono activité à la pluriactivité. Maec s’est donc intéressé à l’éventail des moyens de transport des fluides, eau, gaz, électricité, télécoms… Est alors apparue dans le domaine électrique, moyenne tension, la fabrication de transformateurs, via la filiale de Toulon. Sont venues ensuite les fabrications de boîtes aux lettres, de paraboles, de bornes de recharge, les compteurs Linky avec le concentrateur…

Comment l’entreprise s’est-elle ouverte à l’international ?

B. B. : En même temps qu’il innovait, Groupe Cahors s’est internationalisé… se positionnant à la fois sur des marchés étrangers en ouvrant des filiales, à même d’épouser les spécificités des besoins locaux. Cette phase de développement à l’international a débuté par l’Espagne avec la création de « Cahors Espagnola », puis s’est poursuivie en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie… Encore une fois, car c’est une constante, Groupe Cahors a tiré sa force de sa diversification d’activités et de sa capacité d’innovation avec une internationalisation très rapide, en Afrique, Amérique Latine, Asie… À son apothéose, Groupe Cahors totalisait près de 2000 salariés.

Alors comment se fait-il que le vent ait tourné du mauvais côté ?

B. B. : Première alerte en 2008, avec d’une part l’augmentation du coût des matières premières et la tension des marchés internationaux, en même temps que se dessinait une évolution de la clientèle en recherche de produits moins chers. Les investissements engagés n’ont pas généré les résultats espérés. La situation s’est à nouveau dégradée au cours de ces trois dernières années.
Peu à peu, le personnel s’est rendu compte, sans même connaître les fondements précis de la situation, que l’avenir s’assombrissait. Le révélateur fut l’annonce de la nécessité de s’adosser à un groupe industriel. S’engageait alors la lutte des repreneurs, avant que le PDG actuel rachète à 80 % le groupe. Il s’en est suivi des licenciements en cascade. La chute a été très rapide en définitive, à peine avait été dressé le constat des difficultés ! Combien de salariés encore sur la sellette ? Ce qui a été surprenant, c’est le fait d’apprendre les difficultés auxquelles était confronté le groupe et la soudaineté avec laquelle nous nous sommes retrouvés dans le tourbillon des licenciements et autres coupes sombres.
Certes il y avait probablement la nécessité d’évoluer, de modifier des modes de fonctionnement, de rationaliser, de s’adapter une nouvelle fois. Ce qui a été fait et réussi à plusieurs reprises dans le passé. Je compare souvent Groupe Cahors à un vieux paquebot, ce qui implique qu’il fallait remettre au goût du jour certaines choses… De là à en passer par un démantèlement auquel nous assistons depuis plusieurs mois, je ne suis pas convaincu !

« Le sursaut nécessaire pour que Groupe Cahors survive aura-t-il lieu ? »

Vous ne semblez pas rassuré par l’action menée par le repreneur, êtes-vous inquiet pour l’avenir de Groupe Cahors ?

B. B. : Le choix du repreneur a-t-il servi les intérêts de Groupe Cahors ? Que dire sur ses méthodes de gestion ? Au-delà de mettre en péril le devenir des salariés et de familles entières, c’est tout un patrimoine qui se trouve dilapidé. N’oublions pas que ce sont 100 ans d’histoire qui ont construit ce qu’était devenu Groupe Cahors.
À présent, les élus se sentent concernés par le devenir de Groupe Cahors et se montrent attentifs à la tournure des événements, ceci est plutôt rassurant. Il faut que soient dénoncés les procédés qui ne correspondent pas aux efforts attendus pour consolider le devenir de Groupe Cahors. Il y aura des comptes à rendre et ce d’autant plus qu’il a été fait appel à des deniers publics !

Comment caractérisez-vous la situation actuelle ?

B. B. : Ce que nous avons vécu avec le repreneur, c’est le démantèlement d’un patrimoine industriel ; pire encore avec la fuite des compétences, ce sont des savoir-faire qui nous ont échappé. Une situation qui compromet gravement le devenir de l’entreprise.
Toutes les directions générales ont été supprimées au profit d’un seul homme chargé d’appliquer une ligne financière. Les manifestations syndicales montrent des personnes en souffrance devant tout ce qui se passe et qui ne savent pas de quoi demain sera fait… Moi qui ne suis plus à l’intérieur de l’entreprise, j’ai mal pour tous ceux et celles qui y sont encore et qui se retrouvent sur une embarcation, telle un bateau ivre et sans autre boussole que la finance…

Encore un peu optimiste malgré tout ?

B. B. : Le sursaut nécessaire pour que Groupe Cahors survive aura-t-il lieu ? Tout le monde veut y croire.
Ce livre du centenaire porte en lui, de manière quasi intrinsèque, un message d’espoir, pour tous les salariés et au-delà pour toutes les personnes qui considèrent que Groupe Cahors doit poursuivre son aventure industrielle. Je veux croire qu’il y a encore une possibilité de sortir de la tourmente.

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