Rencontres nationales de la participation

Les deuxièmes Rencontres nationales de la participation, organisées à Marcq-en-Baroeul (Nord) le 7 et 8 mars, ont permis de dresser un certain bilan de santé de la vitalité de la démocratie française. Les universitaires Yves Sintomer et Loïc Blondiaux, ont voulu convaincre les tenants de la démocratie représentative de la nécessité de ne pas se contenter de quelques ajustements pour réconcilier les citoyens avec la politique. Il y aurait urgence à renouveler en profondeur les pratiques.

Peut-on encore intéresser les citoyens à la vie publique ? Drôle de question que celle posée par le think-tank Décider Ensemble pour lancer ses 2èmes Rencontres nationales de la Participation, consacrées justement à… l’implication des citoyens dans la décision publique. Désireux d’ouvrir d’emblée les hostilités, le député (UDI) Bertrand Pancher avait invité deux représentants politiques et deux universitaires, qui se sont livrés, comme attendu, une âpre joute intellectuelle.

« C’est très intéressant que vous vous posiez la question ici! » s’est réjoui Loïc Blondiaux, politiste à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. « Tout est fait dans le système politique français pour désintéresser les citoyens en dehors des élections. Les institutions censées les représenter se sont progressivement désintéressées du grand public, donnant parfois l’impression à certains de trahir les catégories populaires. Résultats : le chiffre du militantisme partisan et syndical s’effondre, tout comme l’audience des émissions politiques officielles » constate ce spécialiste de la concertation. « Une partie des citoyens ne croient plus dans les institutions, la délégation de pouvoir, la démocratie représentative. Ils lui préfèrent les pétitions en ligne ou les expériences de vie démocratique en commun (Nuit Debout, ZAD) lorsque ce n’est pas malheureusement l’abstention, les votes populistes ou d’extrême-droite. »

Regain ou baisse structurelle de la confiance des Français ?

Un tableau introductif sombre dans lequel ne se reconnaît pas le président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), Patrick Bernasconi. « Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain » s’est-il écrié en retour. « Les organisations représentatives savent qu’elles iront de désillusions en désillusions si elles ne changent pas de modes de fonctionnement. Beaucoup s’ouvrent peu à peu à la société civile, aux outils et aux méthodes participatives. Peut-être qu’elles pourraient encore aller plus loin mais l’enjeu n’est pas de consulter pour consulter et créer un bazar généralisé. Les Français ne partagent pas votre vision noire de la démocratie. »

Se gargarisant de quelques études d’opinion montrant justement une recrudescence de la confiance des citoyens envers les institutions depuis 2017, l’ex-député de Seine-et-Marne (PS) et aujourd’hui directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean Jaurès, Emeric Bréhier, est venu en appui du propos du président du CESE. Sans convaincre Loïc Blondiaux ni Yves Sintomer, son confrère de l’université Paris-8. Les universitaires ont, pour leur part, évoqué une simple « fluctuation » liée aux présidentielle et législatives 2017 qui ne sauraient cacher pour autant une perte de confiance « structurelle et durable » des citoyens.

La démocratie participative pas assez… représentative

Alors, que faire pour les réconcilier avec la vie politique et susciter de nouveau leur intérêt ? Renforcer le pouvoir des instances de démocratie participative afin de permettre une réelle co-construction des décisions et une émancipation de tous les citoyens ? « Dans ma communauté d’agglomération, un conseil participatif tiré au sort a vu le jour. Son président siège au bureau communautaire et dispose de pouvoirs délibératifs. Sauf que cette assemblée n’est pas parvenue à attirer d’autres classes sociales que celles participant déjà au processus électif », a témoigné Emeric Bréhier. « Pour l’heure, les publics des différentes formes de démocratie participative ne sont pas suffisamment représentatifs de l’ensemble de la population pour que leurs décisions soient légitimes. »

Poursuivant son raisonnement, l’ancien parlementaire socialiste a pris l’exemple de la consultation citoyenne organisée par Parlement & Citoyens dans le cadre de la consultation sur la loi République Numérique. « C’était une initiative intéressante, mais elle ne peut pas être un prétexte pour balayer le travail parlementaire. La légitimité des Civic Techs ne peut pas surpasser celle des députés qui n’ont eu, à l’époque, que trois semaines pour étudier le texte. Il faut nécessairement séparer le temps de la concertation de celui du Parlement. La démocratie participative ne doit pas exclure la démocratie représentative ! »

Un nécessaire big bang des institutions?

Un point que lui accorde volontiers Loïc Blondiaux. « La démocratie participative comme les Civic Techs ne doivent pas surtout pas contribuer à liquider les corps intermédiaires et les partis politiques. Ils ne peuvent pas se substituer à la démocratie représentative, qui reste essentielle. Mais les élus doivent intégrer ce qui se fait de mieux dans ces pratiques citoyennes et arrêter de croire qu’un vote équivaut à un blanc-seing offert par la population. »

Pour Yves Sintomer, professeur de science politique à l’université Paris-8, « ce n’est pas en améliorant simplement le fonctionnement du Parlement que la défiance des citoyens vis-à-vis des institutions diminuera automatiquement. Le Bundestag allemand fonctionne de manière bien plus démocratique mais leurs députés y sont également confrontés à une forte défiance ».

Ce politiste s’étant fait connaître par ses travaux liés au tirage au sort mise davantage sur une transformation profonde de certaines institutions françaises : « Notre pays comme d’autres a besoin d’une véritable transition démocratique. Remplaçons le Sénat par une sorte de Cese rénové faisant la part belle aux citoyens de la société civile organisée, créons un fond permettant de financer l’auto-organisation des citoyens non-organisés habitant des quartiers difficiles comme les campagnes reculées. Regardons du côté des transformations en cours dans les villes espagnoles (budgets participatifs, droit de votation citoyenne, conseils citoyens indépendants). »

Le difficile vieillissement des partis

« Nous devons effectivement encourager les partis politiques à se réinventer et changer leur mode d’organisation, mais c’est en partie déjà le cas » a assuré Emeric Bréhier. « Le renouvellement ne peut pas être réduit à Podemos et Ciudadanos en Espagne ou au Parti Travailliste en Angleterre. En France, la France Insoumise (FI) et La République en Marche (LREM) sont deux nouvelles formes de partis politiques qui se sont créées contre d’anciens corps intermédiaires. »

Lui aussi conscient de la nécessité de moderniser mais conserver des corps intermédiaires politiques, Yves Sintomer a tout de même estimé nécessaire de s’interroger de toute urgence à « la façon dont ils vieillissent. A peine trois ans après sa création, Podemos est déjà devenu un parti comme les autres. Et je ne suis pas sûr que ça épargne les récents mouvements politiques s’étant créés en France. »
Assurément, les 700 inscrits de ces Rencontres n’avaient pas de trop de deux journées de débats pour concilier ces deux visions et apprendre à faire mûrir aussi bien la démocratie représentative que les instances participatives.

Courrier des maires

 

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